Faire face à la mort d’un enfant : quelques conseils de parents
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parents qui ont vu leur enfant avancer inexorablement vers la mort. Avec
du recul, ils reviennent sur ce qui les a aidés à tenir au cours de
cette douloureuse épreuve.
battu pendant plusieurs années, avec des périodes de rémissions, des
allers-retours à l’hôpital, l’attente angoissée des résultatsâ pour
son fils atteint d’une leucémie, Gilles Delaunet, l’auteur de Emmanuel, mystère d’amour (Éd. Traditions monastiques) a dénombré 400 jours d’attente en sept ans !
S’appuyer sur famille et amis
Une certitude, durant cette période : « les actes sont plus réconfortants que les paroles. » Notamment à l’égard des frères et sœurs, ceux qu’on appelle parfois « les grands oubliés
», ceux que les parents au chevet d’un enfant sont parfois contraints
de délaisser. Le soutien des grands-parents, des voisins, des amis,
s’avère précieux pour assurer le quotidien : récupérer les enfants à
l’école, s’occuper des devoirs, des conduites, assurer une présence
affectueuseâ¦
Les enfants, surtout s’ils sont plus âgés, peuvent
aussi apporter un vrai soutien. Ainsi, les soeurs aînées de Tanguy
avaient 14 et 17 ans, lorsque sa tumeur au cerveau a été découverte. « Elle ont senti notre détresse et nous ont beaucoup soutenus », relève Nathalie, leur mère. « Quand
on rentrait le soir, elles s’étaient occupées du dîner, avaient lavé et
couché les petits. Nous avons vraiment vécu ensemble cette épreuve. »
« Lorsqu’on rentre chez soi vers 21h, après une journée d’hôpital, le téléphone est infernal »,
explique Caroline dont la fille Virginie est décédée d’une leucémie à
16 ans. Pour lui éviter de passer plusieurs coups de fil, l’une de ses
sœurs se chargeait de transmettre à tout le monde les nouvelles du jour.
Pour Denis et Delphine, dont la petite Maud est atteinte d’un cancer
inopérable, trente familles se sont mobilisées et ont pris en charge
leur dîner. « Cette entraide soulage concrètement et cette charité réconforte ».
Quel
réconfort aussi qu’un ami capable de recevoir des confidences, auprès
de qui exprimer sa souffrance, ses doutes, sa lassitude. « Il est difficile d’accompagner des parents qui souffrent, et qui, eux-mêmes, ignorent ce dont ils ont besoin, remarque Caroline. Mais une simple présence silencieuse peut aider. »
Nécessaires temps de silence, de solitude ou de marche à pied
Atteint
d’une tumeur maligne sur le nerf optique, le fils de Guillaume et
Christine a été suivi plus de quatre ans à l’hôpital. Pour tenir le
coup, sa mère s’était fixée un rendez-vous mensuel au monastère de la
Sainte-Baume : « ce jour de désert, en silence, me permettait d’évacuer. » De déconnecter, de respirer, de s’accorder une pause. Elle souligne le « bienfait
de se retrouver seule, quand on est phagocytée par la maladie de son
enfant, réveillé en pleine nuit, en état d’alerte permanent. » Et l’importance de ces détails qui peuvent sembler anodins : « Quand on n’a pas faim, un repas chaud préparé par des religieuses, ça passe plus facilement⦠»
« J’avais besoin de silence », se souvient également Caroline. « J’ai beaucoup marché dans la nature, en forêt, avec mon chapelet. Mon mari et moi sommes devenus très observateurs. »
Week-end et temps préservés pour son couple
Un week-end passé ensemble, peu de temps avant le décès de leur fille, les a aussi beaucoup aidés. « L’une
de mes sœurs m’a presque obligée à prendre trois jours avec mon mari.
Nous avons pu prendre des forces, avant l’épreuve terrible qui a suivi. »
« J’ai vu beaucoup de couples qui éclataient, convient Martine dont la fille Maud est décédée d’une leucémie voilà plus de quinze ans.
Nous avons eu de la chance. Au début, nous pleurions chacun de notre
côté. Quand l’un plongeait, l’autre tâchait de tenir bon pour que les
deux ne coulent pas. Nous avons pu vraiment en parler lorsque nous
étions moins à vif, cinq ou six ans après son décès. »
Une maladie qui s’étend sur plusieurs années provoque forcément des non-dits entre les conjoints, comme l’explique Christine. « En
quatre ans, beaucoup de sujets tabous se sont accumulés entre nous :
j’en voulais à mon mari de partir en mission professionnelle, moi-même
je m’en voulais de ne pas parvenir à lui demander de rester… » Grâce au « devoir de s’asseoir » des Équipes Notre-Dame, « nous avons pu aborder paisiblement tous ces non-dits. Cela nous a permis de rebondir dans notre vie de couple. »
Le soutien de la foi et les gestes de l’Église
«
Par rapport à la foi, c’est le grand écart entre la confiance, les
sommations au Seigneur, la révolte. On passe par des phases très
contradictoires », se souvient Martine, dont le mari ne partage pas la foi.
Emmanuel a été confirmé à 4 ans, avant de recevoir l’onction des malades en phase terminale. « Voir que l’Église proposait des gestes tangibles et appropriés nous a beaucoup soutenus », relève Christine. Il manifeste aux familles éprouvées qu’elles ne se battent pas toutes seules.
Savoir que l’on accompagne son enfant vers Quelqu’un change tout, aussi. Caroline confirme : « Dans l’épreuve, ma foi m’a énormément portée. Elle ne m’a pas rendu la tâche plus facile, mais elle lui a donné un sens. »
Après la mort
La
maladie a suscité un combat qui laisse peu de temps pour réfléchir.
Après le décès de l’enfant, c’est souvent l’effondrement. « On revient sur terre et le vide prend forme
», résume Vincent, le père de Tanguy, 13 ans, dont la dernière semaine
sur terre fut vécue de façon « extra-ordinaire, hors du temps et dans
une grande paix, malgré les circonstances ».
« Il y a eu un
grand vide dans le mois qui a suivi son décès : personne ne sait quoi
dire. Je me suis raccrochée à la vie qui continue par mes autres enfants
», reprend Christine. Caroline confirme : « Ils obligent à rester dans la vie. Il faut aller faire les courses pour eux, les nourrir, s’occuper de leur linge⦠» Pour éviter de gamberger, elle a entrepris des activités qui lui « vidaient la tête », telle la broderie qui oblige à compter. « La
lecture m’était impossible car mon esprit vagabondait. J’ai donc essayé
de mémoriser de courts passages de l’Évangile. Ainsi, je fixais mon
esprit sur autre chose que le vide ou la souffrance. »
« On n’a pas choisi ce qui nous arrive, mais on peut choisir de dépasser cette épreuve, avec l’aide du Seigneur », témoigne Charlotte dont la petite Philippine est décédée voilà deux ans et demi. « Plutôt que de retourner la question lancinante du « pourquoi ? », j’essaie de m’accrocher au « comment ? » : « comment continuer de vivre des moments heureux, comment faire grandir les enfants dans la foi, etc ? » ».
Quinze ans après, Martine témoigne : « La
douleur évolue, change, s’apaise, mais il y a toujours un manque. Ses
amis sont aujourd’hui mariés, ils ont des enfants… Pourtant,
paradoxalement, Maud nous a montré combien la vie est précieuse. »
Des mots pour les frères et soeurs en deuil
Psychologue en réanimation pédiatrique à l’hôpital de Garches,
Muriel Derome donne trois conseils pour préparer ses enfants à la mort
de leur frère ou de leur sœur.
– « Il/elle va aller au Ciel
» : je me méfie un peu de cette expression, car elle renvoie à un lieu
précis. L’enfant peut s’imaginer qu’il retrouvera son frère ou sa sœur
en prenant l’avion, par exemple. Je l’explique ainsi : « C’est une
image pour dire qu’il est dans le cœur de Dieu. Son amour n’a ni début,
ni fin, il est infiniment grand, comme le ciel. »
– Avant 6
ans, les enfants croient parfois jouer un rôle dans la survenue de la
mort et s’en tenir pour responsables. Les frères et sœurs d’un enfant
décédé peuvent donc élaborer des raccourcis, parfois imprévisibles.
Ainsi, Nicolas, 4 ans, devant son frère de 2 ans en fin de vie, a
expliqué : « je sais pourquoi il est tombé malade jusqu’à mourir : c’est parce que je suis rentré en CP ». Ou cet autre enfant, âgé de 6 ans : « Il est mort parce que j’arrêtais pas de l’embêter. »
– Mieux vaut éviter de dire à un enfant « Ton frère ou ta soeur restera présent(e) dans ton souvenir.
» Cela risque de le plonger dans l’angoisse, lorsqu’il réalise qu’il ne
pense plus à lui, qu’il ne se souvient plus du ton de sa voix, de son
odeur, etc. Je préfère préciser que les morts n’ont pas besoin que l’on
pense à eux, mais que tout ce qu’ils ont semé germera, tôt ou tard. « Même
si tu l’oublies, il a laissé en toi quelque chose qui grandira un jour
en toi : un trait de caractère, une attitude, une façon de sourire,
etc. »
31/10/2009 dans Famille Chrétienne