Muriel Derome*
Céline d’Harcourt Psychologue clinicienne
Chantal Pons Le Mintier Psychologue de la santé
Hôpital Raymond-Poincaré, AP-HP, 104 boulevard Raymond Poincaré, 92380 Garches, France
*Auteur correspondant.
adresse e-mail : muriel.derome@aphp.fr (M. Derome).
Résumé
Les soignants sont confrontés à la maladie et à la mort, parfois régulièrement. Face à ces situations difficiles, les émotions qu’ils éprouvent affectent leur vie dans toutes ses composantes : corporelle, intellectuelle, spirituelle et sociale. Il est important de prendre en compte ces émotions et d’identifier les ressources qui peuvent être proposées aux soignants. La solidarité entre soignants et la cohésion d’équipe sont également essentiels.
Mots clés : besoin ; deuil ; impact ; relation ; rituel ; soignant ; souffrance ; traumatisme
Summary |
Caregivers are confronted with disease and death, sometimes regularly. Faced with these difficult situations, the emotions they feel affect every aspect of their lives: physical, intellectual, spiritual and social. It is important to take into account these emotions and to identify the resources which can be offered to caregivers. Solidarity between caregivers and team cohesion are also essential.Le texte complet de cet article est disponible en PDF.
Mots clés : deuil, relation, rituel, soignant, souffrance, traumatisme
Keywords : caregiver, grief, relationship, ritual, suffering, trauma
Être exposé à des situations difficiles telles que la maladie incurable ou la dégradation de l’état de
santé d’un enfant, pouvant aller jusqu’à sa perte totale d’autonomie ou sa mort, peut engendrer une
grande souffrance. Le corps, l’intellect, la vie affective et sociale, les repères spirituels dans la vie
privée comme dans l’activité professionnelle, en sont forcément impactés, de manière différente
selon les individus, leur histoire, leur sensibilité, leurs croyances et leurs ressources.
L’équipe paramédicale se trouve au plus près du malade. Souvent, elle connaît bien les patients et
leur famille, au point d’être parfois dans une grande proximité émotionnelle. Les soignants
éprouvent parfois un sentiment d’impuissance devant l’enfant et ses parents et craignent que cela
n’affecte leurs capacités à prendre soin du malade. L’angoisse parentale intensifie leurs sentiments
de détresse et de doute. Ils se sentent parfois très seuls et en plein désarroi. Pour éviter de
s’effondrer, ils doivent trouver une juste proximité, celle qui permet de soigner, de rester attentif à
l’autre, sans banaliser la souffrance. Cela leur permet de garder un regard neuf sur chaque
expérience individuelle [1].
1 Avant une situation difficile
TEG1 En amont d’une situation difficile ou d’un événement douloureux, les soignants peuvent
craindre de :
• ne pas être à la hauteur ou de mal faire. Pensant que leurs émotions risquent d’altérer leur
capacité à prodiguer correctement les soins, ils appréhendent de voir leurs mains trembler.
Cependant, très rares sont ceux qui ne parviennent pas à mobiliser leurs capacités pour un enfant
qu’ils savent gravement malade ;
• être indélicat ou ne pas trouver les mots justes. Les soignants appréhendent de devoir expliquer
aux familles les informations qu’elles ont reçues des médecins. Ainsi, cette infirmière qui s’est sentie
très mal lorsqu’une maman lui a demandé : « Le médecin nous a parlé de soins palliatifs. Je n’ai pas
compris ce que ça veut dire. […] Normalement, ce n’est pas un truc pour les vieux ? ». Ils craignent
également de déformer les propos du médecin ou de donner une information que l’enfant ou ses
parents ne connaissent pas encore ;
• être gagné par la contagion émotionnelle. Les soignants redoutent de ne pas savoir “gérer” la
souffrance ou la détresse de l’enfant ou de sa famille. Certains craignent d’éprouver le même état
affectif que leur patient qui vient d’apprendre une mauvaise nouvelle. D’autres redoutent que leur
envie de pleurer, leur façon d’être ou de parler, trahisse quelque chose des préoccupations
médicales.
TEG1 Pour limiter l’emprise de leurs craintes, les soignants veulent que leurs besoins soient pris en
compte. Ces besoins sont de plusieurs ordres :
• que l’information circule. Les professionnels sont toujours mal à l’aise tant que le médecin n’a pas
annoncé le diagnostic et le pronostic aux équipes puis aux parents et à l’enfant. Une fois que la
situation a été expliquée, l’attitude des soignants change. Ils ne fuient plus les questions, sont plus
ouverts et peuvent mieux écouter la souffrance de l’enfant et de sa famille ;
• de renvoyer vers le médecin. Quand les familles ou l’enfant malade commencent à poser “trop de
questions”, les soignants, afin de ne pas être confrontés aux réactions des familles, n’hésitent pas à
les inviter à interroger le médecin. Cette attitude est compréhensible, mais il arrive parfois que ce nesoit pas un hasard si les questions ne sont pas posées à la personne qui peut y répondre. Cela signifie
que ce n’est pas la réponse qui est recherchée, mais l’écoute. Certains patients ou proches cherchent
simplement une aide pour réfléchir ; le besoin d’être compris prime sur celui de comprendre.
• de maîtriser la situation tant qu’elle peut l’être : se renseigner sur la pathologie, connaître au
mieux la famille (environnement socio-culturel, religion, centres d’intérêt, conditions de vie, entente
familiale, personnes ressources, etc.).
2 Face à l’événement douloureux
TEG1 Un ensemble de mécanismes de protection est mis en place par les soignants pour faire face
aux situations difficiles [2], dont :
• la mise à distance. Certains soignants cherchent avant tout à ne pas se laisser envahir par l’émotion
des parents en s’investissant le moins possible affectivement. Au lieu de chercher à se situer dans une
juste proximité, une juste attention, une juste présence, ils se sentent protégés en entretenant une
“certaine distance” entre eux et les familles. Par exemple, ils n’utilisent que des termes inconnus par
les parents, pour éviter d’être confrontés à l’émotion et à la détresse de la famille ou du patient ;
• le déplacement de l’agressivité et de la colère. Les soignants ne pouvant exprimer leurs émotions
négatives envers l’enfant ou sa famille, il peut arriver qu’ils les déplacent sur leurs collègues, un
parent, un autre enfant du service …ou un de leur proche dans leur vie privé.
TEG1 La peur et les mécanismes de défense chez les soignants sont en lien avec des besoins
spécifiques qu’il est essentiel de prendre en compte.
• besoin de confiance. Les soignants ont besoin d’être informés, que la gravité de la situation leur soit
clairement dite. Si ce n’est pas le cas, l’infirmier peut penser, par exemple, que le médecin ne la juge
pas digne de partager un secret professionnel, ou qu’il estime son avis sans intérêt pour l’approche du
malade. Cela détériore le climat global du soin porté au patient, qui en souffre, ainsi que sa famille ;
• besoin de calme. Plus l’urgence est vitale, plus les gestes doivent être précis, il est donc nécessaire
que l’ensemble de l’équipe soignante ne s’énerve pas ;
• besoin d’être en accord avec sa propre éthique et celle du service. Un soignant qui serait très
opposé à l’avortement, par exemple, ne pourrait pas s’épanouir dans un service qui lui demanderait
d’en faire. Chaque cas étant singulier, chaque enfant et chaque famille unique, un ajustement
psychologique peut aider à accepter la situation telle qu’elle est. Les parents, percevant le
cheminement des soignants, parviendront eux aussi progressivement à changer leur regard sur leur
enfant ;
• besoin d’une proximité ajustée. Il ne s’agit pas de rechercher l’évitement mais, au contraire, d’oser
s’attacher mieux, sans trop de distance, sans froideur, mais avec une juste attention pour mieux se
détacher.TEG1 Ainsi, pour que des soignants puissent surmonter sans trop de séquelles la confrontation
répétée à la maladie grave et à la mort, il est nécessaire que chacun puisse être attentif à lui-même, à
ses propres besoins, pour être dans un juste rapport à l’autre. Parfois, il s’agira simplement de faire
respecter ses horaires de travail, de passer le relais à l’équipe suivante, de s’accorder un temps
d’arrêt, de deuil, juste après la toilette mortuaire par exemple. D’autres fois, au contraire, il s’agira
d’oser des petits gestes tout simples : passer dire bonjour à l’enfant ou à sa famille, même si nous ne
nous occupons pas de lui ce jour-là, prendre le temps de raconter une petite histoire ou de chanter
une chanson pendant les soins, ou, simplement, d’agir avec une infinie douceur.
3 Dans l’après-coup
Pour les soignants, certaines situations peuvent rester inoubliables. Seule la possibilité de reparler de
ce qui a été vécu permettra de mieux comprendre et d’assimiler ce qui est de l’ordre de
l’inacceptable. Certains soignants, pendant des années, ont été incapables d’évoquer un décès dans
le service, même avec leurs proches. L’intensité de leurs émotions était encore intacte et il leur aura
fallu plusieurs réunions sur ce thème pour pouvoir en parler.
TEG1 C’est pour cela qu’il est utile de proposer, au moins ponctuellement, des temps d’échanges.
Ceux qui le désirent peuvent ainsi reprendre ce qu’ils ont vécu, analyser la situation, prendre de la
distance. Il s’agit aussi de retenir ce qui s’est bien passé et ce que nous avons appris de nos erreurs
ou de nos maladresses. Ces échanges permettent aux soignants de savoir qu’ils peuvent être
soutenus et écoutés, même très longtemps après un décès. En effet, certains regrets peuvent nous
“ronger”, comme cette jeune interne qui a souffert pendant des années de ne pas avoir pu dire au
revoir à des parents dont l’enfant était décédé. Elle n’imaginait pas pouvoir écrire à ces parents, aussi
longtemps après, mais dès qu’elle a osé prendre quelques minutes pour leurs dire qu’elle n’avait
jamais oublié leur fils, elle s’est sentie apaisée et a pu clore cette histoire. Quelques jours plus tard,
les parents, extrêmement touchés, l’ont chaleureusement remerciée.
TEG1 Après une situation très difficile comme un décès dans un service, il est souhaitable que
chaque soignant puisse prendre le temps de s’asseoir, seul ou en équipe, pour mettre des mots, au
moins pour soi-même, sur ce qui a été vécu. Se poser et dire ce qui s’est passé est capital pour
enclencher un travail de deuil ou de reconstitution [3]. Les prises en charge d’enfants dans des
situations difficiles ne sont jamais complètement satisfaisantes. C’est un domaine dans lequel nous
ne cessons d’apprendre. Il s’agit alors d’identifier et d’accueillir, même à posteriori, ce qui a été
vécu [4], c’est-à-dire :
• les faits : « À ce moment-là, je me suis vu lui donner son traitement, comme si de rien n’était … »
• les pensées : « Je ne pensais vraiment pas qu’il allait mourir … »
• les sensations e la somatisation : envie de pleurer, mal de gorge, de dos ou de ventre, migraines…
• les sentiments et émotions : peur, fierté, déception, surprise, dégoût, culpabilité, honte, etc. : « J’aurais dû… », « J’aurais pu… »
• les besoins : de pleurer, de crier, de prendre du recul, d’être seul, d’être pris dans les bras, de prendre dans les bras, d’être aimé, d’aimer, de se sentir valable à ses propres yeux ou aux yeux des autres, de se sentir efficace, performant, d’être reconnu et estimé, de sentir que nous appartenons à l’équipe, etc.
Par la suite, il s’agit d’essayer de comprendre pourquoi tel ou tel aspect nous a davantage touchés.
Si nous sommes capables de reconnaître et de nommer ce que nous avons eu à vivre, ce qui a été
touché en nous, si nous réussissons à comprendre quels besoins n’ont pas été pris en compte, alors
nous serons davantage acteurs de notre propre histoire.
À la suite de ces réunions ou de ce moment où l’on s’est “posé”, chaque professionnel peut
inventer son propre rituel pour l’aider à vivre son deuil en tant que soignant (encadré 1).
Encadré 1. Le rituel d’un soignant, témoignage
« Chaque année en novembre, puisque c’est le moment où la nature et les hommes nous font penser
aux morts, je me fais une petite cérémonie. Je me suis inventé quelque chose qui me correspond : je
m’assois, j’allume une bougie, je regarde la flamme et je me pose vraiment. Là, je laisse remonter les
souvenirs. Je repense à tous les enfants, à toutes les familles que j’ai accompagnées en fin de vie.
Certains s’imposent à moi par le côté traumatique de leur mort, d’autres ont laissé une trace plus
discrète ou plus sentimentale… Je note leur nom, ou quelque chose qui me fait penser à eux, sur un
papier et quand je me sens prête, je sors. Là, je vais ramasser des cailloux. Quand je suis au bord de la
mer, je prends des galets, c’est encore mieux ! Plus mon chagrin est grand, plus je choisis un gros
caillou ou galet. Et j’en mets dans mes poches autant que d’enfants que j’ai accompagnés. Lorsque les
deux poches de mon manteau sont bien pleines, je marche un moment avec les dix ou douze galets.
C’est lourd ! Je prends le temps de sentir combien c’est lourd et difficile de marcher avec tout ça en
poche. Et puis ensuite, après avoir été longtemps dans mes sensations, je réalise que je porte une
peine qui ne m’appartient pas. C’est vrai, ce ne sont pas mes enfants ! Alors, je décide de me libérer
de ce poids trop lourd à porter pour moi et, petit à petit je les redépose sur la plage ou dans la forêt.
J’aime les confier à la mer… ça m’aide à m’en libérer. Je confie aussi toutes les familles… Et ensuite,
ça peut paraître idiot mais je me sens mille fois plus légère… et prête à accompagner d’autres
enfants, d’autres familles… d’autres vies. » [5]
4 Conséquences pour les soignants
Lorsque nous sommes confrontés à une situation difficile, tout notre être en est impacté.
- Sur le plan intellectuel
Les médecins disent souvent éprouver, pendant les événements difficiles, une sensation de plus
grande acuité, grâce à l’adrénaline.
Dans l’après-coup, les infirmières et aides-soignantes ont au contraire la sensation qu’à force, toute
l’énergie dépensée pour oublier les prises en charge particulièrement traumatiques entraîne unralentissement intellectuel, des difficultés à réfléchir, à se concentrer. Beaucoup témoignent de leur
impression de ne plus avoir de mémoire, de tout oublier, de ne pas être capable de retenir les noms
des personnes qu’elle rencontre, de ne plus savoir où sont leurs affaires ou d’oublier la date de
certains rendez-vous.
- Sur le plan somatique
Le corps peut être le premier lieu impacté. Une situation particulièrement difficile oblige à “mettre
entre parenthèses” nos besoins corporels. Même ceux aussi essentiels que la soif, la faim, le besoin
d’uriner, sont ignorés. Le besoin de repos, les douleurs (lombaires ou autres) sont occultés.
En sortant du service, il faut souvent un certain temps pour que le soignant “réintègre” son corps.
Il réalise alors qu’il n’a pas eu le temps de manger ou qu’il n’a pas fermé son manteau alors qu’il
pleut très fort. Après un accompagnement difficile, certains soignants prennent conscience qu’ils ont
besoin d’un moment pour “se retrouver” : « J’ai l’impression que je voudrais redevenir un tout petit
enfant », « J’ai besoin d’être seule, de me mettre sous ma couette dans la position du fœtus »,
expliquent-ils.
Il arrive aussi que les soignants rencontrent des difficultés bien après l’événement douloureux (effet “boomerang”). Le soignant à l’impression immédiate d’avoir très bien géré la situation, et il en ressort avec un certain sentiment de fierté. Mais quelques semaines ou mois plus tard, alors qu’il ne s’y attend plus du tout, un élément anodin – une musique, un enfant qui ressemble à celui qui est décédé… – vient lui rappeler la situation dramatique et les émotions ressenties à ce moment-là.
Notre corps nous envoie des signaux pour nous informer que nous sommes en souffrance.
Les soignants avouent, parfois gênés, les désordres physiques qu’ils rencontrent : manifestations somatiques (fatigue, mal de tête, de dos, de ventre, stérilité “psychologique”, etc.) ou tout simplement leur incapacité à lâcher prise, particulièrement marquante dans la relation amoureuse et sexuelle.
- Sur le plan affectif et relationnel
- 1 Beaucoup ont expérimenté la tristesse de ne pas se sentir compris par leur entourage. Il est
- difficile de raconter les événements douloureux à ses proches. D’une part, parce qu’ils ne
- comprennent pas vraiment la situation ; d’autre part, parce que là où nous aimerions trouver écoute
- et compréhension, eux s’inquiètent et cherchent à proposer des solutions. Nous devons bien souvent
- faire le deuil d’une réelle compréhension de leur part, ce qui rend primordiaux les échanges avec les
- professionnels qui vivent les mêmes situations.
TEG1 Les proches, parallèlement, peuvent avoir la sensation d’être tenus à l’écart, d’avoir moins
d’importance que notre travail. Ils perçoivent parfois que nous avons vécu, avec nos collègues, des
“choses fortes” nous ayant fait expérimenter une grande proximité émotionnelle qui ne peut être
partagée avec eux. Il arrive qu’un certain malaise ou une forme de jalousie en découle et risque de
nous éloigner d’eux. Nous devons donc comprendre que cette émotion partagée avec les collèguesest bien différente de celle que nous pouvons vivre avec ceux que nous aimons, mais qu’elle n’enlève
rien à cette dernière.
La confrontation régulière à des situations extrêmes entraîne chez certains soignants un sentiment de décalage, une impression de ne pas tout à fait appartenir au même monde que les autres. Tandis que les médecins semblent souvent réussir à s’investir en dehors de leur travail, dans des mouvements associatifs ou politiques, beaucoup d’infirmiers ou d’aides-soignants s’en disent incapables tant ils ont mis toute leur énergie dans le service.
- Sur le plan psychologique
Savoir “se poser”, s’arrêter, prendre du temps pour entrer en contact avec sa dimension intérieure etse ressourcer est souvent très difficile pour les soignants, y compris pendant leurs vacances (encadré 2). Dès que des signes d’alertes apparaissent, osons le soutien d’une prise en charge psychologique plutôt que de faire comme si de rien n’était et de sombrer dans un burn-out qui aura de lourdes conséquences.
- Des difficultés pour se ressourcer
TEG1 Après avoir vécu plusieurs semaines à un rythme de travail très intense, le ralentissement des
vacances entraîne souvent un contrecoup dont il faut se méfier. La gravité et l’ampleur de ce qui a
été touché sur le plan affectif ne se révèle généralement que lorsque tout est terminé. La tension
permanente imposée par l’attention requise par la prise en charge d’un enfant dans une situation
particulièrement difficile peut empêcher certains soignants de mesurer ce qui est réellement touché
en eux.
TEG1 Ainsi le corps, qui avait su se faire oublier pendant que le soignant était dans le feu de l’action,
devient souvent douloureux dans l’après-coup. Cette réaction décalée peut être difficile à
comprendre pour les proches qui ont veillé à être attentifs lors du drame. Ils ne comprennent pas
que ce soit au moment où tout est terminé et que le calme est revenu, que la colère, la tristesse,
l’apathie, le manque d’énergie ou d’envie apparaissent.
TEG1 La plupart du temps, les soignants n’osent pas dire ce qu’ils ressassent, leurs pensées et
encore moins leurs émotions. Ils ne parlent bien souvent que de douleur physique comme prétexte à
leur manque d’entrain. Certains, au contraire, se plongent dans une hyperactivité ménagère ou
autre, pour faire taire leur mal-être qui leur semble souvent indicible et inavouable.
- Sur le plan matériel
Nombreux sont les soignants qui témoignent d’un certain détachement des choses matérielles de
leur vie, alors que d’autres y voient une façon de contrôler le monde et de remettre en ordre leurdésordre intérieur. Se concentrer sur les tâches ménagères, sur des “choses simples”, peut aider à
passer à autre chose.
- Sur le plan spirituel
Certains soignants croient en la réincarnation, d’autres au paradis, d’autres n’ont aucune conviction
religieuse mais nombreux sont ceux qui imaginent ces enfants, un peu extraordinaires, comme
sélectionnés pour “un ailleurs” forcement meilleur. Ils ont une représentation spirituelle de la
situation, pensent à ces enfants et parfois leur adressent leurs pensées [6].
2 Un deuil à élaborer
Les équipes qui n’ont pas réussi à guérir l’enfant ou à lui rendre ses capacités ont eux aussi un deuil à
faire. Leur souffrance n’est pas comparable à celle des familles, mais il s’agit néanmoins d’un triple
travail de deuil : celui de l’enfant – sa perte ravivent les autres deuils que les soignants ont vécu dans
leur vie professionnelle ou privée – ; celui de la famille auprès de laquelle ils se sont battus, dans une
perspective commune ; et enfin le deuil d’une responsabilité qui les valorisait et les rendait aux yeux
de tous un peu “extraordinaires”. Le soignant n’étant plus au cœur des préoccupations du service, il
peut être amené à ressentir une perte de pouvoir ou d’intérêt. Un manque de reconnaissance peut
aussi naître à ce moment-là, avec la sensation que les collègues n’ont pas réalisé à quel point cela a
été difficile pour lui [7].
- Conclusion
Il est important de garder en mémoire qu’il existe un temps pour être tourné vers les autres, mettre
toute son énergie pour sauver des vies ou soutenir des familles, travailler de façon très intense, et un
temps pour être seul, se reposer, s’arrêter, se relier à soi-même, se ressourcer. De plus, chacun a des
moments d’énergie et des moments d’épuisement, des moments de foi et des moments de doute.
Il y a un temps pour donner, un autre pour recevoir… S’autoriser ces changements de rythme est
essentiel à notre équilibre.
“Se poser” permet d’écouter ce qui se vit au plus intime de nous-même : nos soifs profondes, nos
besoins, nos manques, nos aspirations personnelles et professionnelles. Réfléchir à ce que l’on
considère comme essentiel nous aide à identifier nos priorités et à répondre à nos besoins.
En prenant soin de nous, nous nous préparons à mieux prendre soin des autres.
Accompagner un enfant extrêmement fragile ou en fin de vie implique toute une équipe, notamment
une réorganisation du travail en lien avec le cadre de santé. Il est essentiel que chaque membre de
l’équipe aide et soutienne le soignant investi par l’enfant ou sa famille. Enfin, n’oublions pas que les
plus fragiles, les plus atteints ou limités ont aussi quelque chose à nous apprendre, un enseignement
essentiel autour de la capacité à accepter nos propres limites et saisir la joie. Saurons-nous les laisser
être nos “professeurs de bonheur” ?Références
[1] 2010;9:32-5.
Guex P, Stiefel F. (2010). De la souffrance du patient à celle des équipes. Médecine palliative.
[2] Ruszniewski M. Face à la maladie grave. Familles, patients, soignants. Paris: Dunod; 1999.
[3] Derome M. La traversée des pays du deuil, guide pour échanger avec un jeune en deuil.
Louvain-la-Neuve: De Boeck; 2014.
[4] Derome M. Accompagner l’enfant hospitalisé, handicapé, gravement malade ou en fin de vie.
Guide pratique à l’usage des psychologues et des soignants. Louvain-la-Neuve: De Boeck;
2014.
[5] Derome M. Accompagner l’enfant hospitalisé, handicapé, gravement malade ou en fin de vie.
Guide pratique à l’usage des psychologues et des soignants. Louvain-la-Neuve: De Boeck; 2014.
[6] Béatrice BP, Héritier C. La souffrance des médecins, des infirmières et des aides-soignantes
dans l’accompagnement de fin de vie à l’hôpital. InfoKara. 2006;1(21):35-6.
[7] Pillot J. Le deuil de ceux qui restent. Le vécu des familles et des soignants. Jusqu’à la mort
accompagner la vie, 2015;2(121):53-64.
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteur déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.