Être en vérité avec les adolescents en fin de vie ou qui risquent de mourir

Être en vérité
avec les adolescents en fin de vie
 ou qui risquent de mourir
Article sorti en septembre 2017 
 dans la revue canadienne « Frontière »
Muriel
Derome, Psychologue clinicienne 
Hôpital Raymond Poincaré, Réanimation,
neurologie et SRPR pédiatrique
Expert de justice près du TGI de Versailles
Aurélie Lefebvre, Psychologue clinicienne,
LISP Médecine interne, CHU de Bordeaux
Khémi Ferrey, Psychologue clinicienne
RESUME
Lorsqu’un adolescent sent ou pense qu’il risque
de mourir, il a besoin des autres, d’être en lien, de se rapprocher de ceux qui
l’aiment pour lutter contre l’inéluctable sentiment de solitude et d’angoisse
de séparation. Il a aussi besoin d’une personne avec qui parler de sa mort. En
nous mettant à son écoute et en l’aidant à formuler ses questions, qu’elles
soient pleinement élaborées ou qu’elles se cherchent, nous l’aidons à dire, à
penser, à ressentir, à
verbaliser
ses sensations, ses sentiments ou ses émotions. Il peut nous être difficile
d’entendre ses tristesses, ses angoisses, ses colères, ses impuissances, son
sentiment d’injustice… Notre rôle est de l’accompagner dans son cheminement,
même lorsque nous n’avons pas de réponse à lui apporter, même lorsque nous nous
sentons impuissants, que nous ne parvenons pas à le rassurer ou que nous avons
envie de fuir. Ce qui est important, c’est que nous soyons là afin de
recueillir, et si possible, de contenir ses affects négatifs et l’aider à
réaliser qu’ils ne le définissent pas. Cela lui permettra alors d’entrer dans une sorte d’acceptation du destin.
The adolescent who is about to die
is in need of others. He needs to be connected, to get closer to those who love
him. To combat the inevitable feeling of loneliness, he is in need of someone
with whom he can talk of his own death to come. Listening carefully and helping
the adolescent formulating and precising his questions helps him to verbalize
his thoughts, feelings or emotions. It can be difficult to listen to his
anxiety, his anger, his feeling of helplessness, injustice… But our role is
to accompany him on this journey, even when we have no answer to give, even
when we feel helpless, when we fail to reassure him or when we want to avoid.
What is important is to listen to his negative affects and to contain them in
order to help him realize there is no adequation between these negative affects
and himself. 
It will help him
accept his fate.
Depuis
près de vingt ans, notre pratique de psychologues dans un service de
réanimation pédiatrique nous a amenées à accompagner de nombreux adolescents
qui risquent de mourir lors d’opérations extrêmement délicates ou dont le
pronostic létal est certain. Nous avons découvert que si nous parvenons à
établir un lien de confiance avec eux et à être identifiées comme
« capables d’entendre », ils montrent une profonde soif d’évoquer la
mort, et même de parler de leur propre mort.
Pour mettre
en place cet espace de parole où ils osent livrer leurs peurs et leurs espoirs,
il faut savoir adapter notre accompagnement à certaines composantes spécifiques
de l’adolescence. Durant cette période de remaniement psychique, le jeune
cherche à développer tout ce qui peut lui permettre d’être plus autonome
physiquement, affectivement, spirituellement et psychologiquement. La maladie
ou le handicap vient casser ou empêcher l’émergence de l’autonomie physique, ce
qui entraine des répercussions sur le développement des autres sphères. C’est
pourquoi, il arrive souvent que le jeune patient commence par refuser ou
remettre en cause tout ce que nous proposons. Il nous appartient alors de faire
preuve de patience et d’adaptation. Moins l’adolescent se sent aimable, plus il
nous rejette pour voir si nous allons à notre tour le rejeter ou renoncer à
nous intéresser à lui et ainsi confirmer ses pressentiments. En effet, cette
mise à distance est le moyen qu’il a de tester nos capacités et nos limites.
Dès
lors que l’adolescent est confronté au risque de mourir, nous avons constaté
que son comportement change. Il peut prendre pleinement conscience de la
réalité de sa mort prochaine, de ce qu’elle représente pour lui, non plus au
niveau de son imaginaire, mais comme « quelque chose » qui vient
s’inscrire dans une réalité corporelle qu’il ne peut plus ignorer et lui
confirme chaque jour davantage qu’elle va vraiment advenir.
            Lorsque les médecins comprennent que l’adolescent ne
pourra pas être sauvé, ils l’annoncent aux soignants et à sa famille, mais
personne ne veut annoncer au jeune qu’il va mourir. Si nous le laissons dans
l’ignorance, il s’ensuit très souvent pour lui une solitude extrême. Non pas
physiquement, puisque les visites et les soins continuent, mais
psychologiquement parce que la plupart des adultes fuient toute discussion sur
la mort, tant ils redoutent de ne pas savoir
quoi lui dire, ni quoi lui répondre.
Pour
vivre sa fin de vie le plus sereinement possible, l’adolescent a besoin que
l’on respecte le mécanisme de défense qui lui convient. Certains jeunes se
disent « un jour après l’autre et ensuite on verra » et ne désirent
rien apprendre de plus que ce qui est en jeu dans leur réalité immédiate. D’autres
ont besoin d’imaginer tout ce qui peut arriver de pire pour se sentir prêts à
vivre toutes les éventualités. En général, les adolescents ne se projettent que
dans un futur proche. Ils vont avoir besoin de faire le deuil de leur famille,
de leur vie étudiante ou parfois professionnelle mais, contrairement à leur
parent, ils n’iront pas jusqu’à faire le deuil des enfants et petits-enfants
qu’ils ne pourront jamais avoir.
Dans
tous les cas, la mise en place d’un soutien psychologique régulier permet au
jeune de confier ce qu’il ressent et
lui offre un espace dans lequel il est pleinement sujet, et
ce, dans le respect de tout ce qu’il est.
Il y a plusieurs façons d’accompagner un adolescent en fin
de vie. Il n’existe aucune méthode infaillible à appliquer. Ce qui compte,
c’est de nous adapter à toute sa spécificité : son milieu socio-culturel, son
développement, ses centres d’intérêt, son rythme, ses désirs, ses besoins, ses
questions, son langage verbal et non verbal… Cependant, notre pratique nous a
permis d’identifier des  repères que nous
présentons ici. Nous commencerons par rappeler l’importance des échanges
informels, et d’un lieu contenant avant de poser des questions très larges sur
la façon dont l’adolescent perçoit la situation puis plus précises sur
l’approche de la mort. Enfin, nous illustrerons nos propos par deux
illustrations cliniques.

Commencer par des
échanges informels

Tout
d’abord, pour entrer en contact avec un jeune malade ou handicapé, il est
préférable d’éviter une approche trop formelle.
La pratique hospitalière permet que ces premiers contacts
n’aient pas lieu dans un bureau, mais qu’ils se déroulent dans les lieux de vie
commune (couloir, chambre, salle à manger ou salle de jeux…).
Nous pouvons
commencer par prendre le temps de nous intéresser au
monde de l’adolescent et à tout ce qui le relie à la vie : ses musiques,
séries, émissions de télévision ou vidéos préférées, les réseaux sociaux qu’il
utilise… Nous n’
hésitons pas non plus à lui parler « de la pluie
et du beau temps » ou de ce qui fait le « buzz » en ce moment, à
amener une touche d’humour ou à relater un moment de vie du service (telle ou
telle fête, la venue de telle ou telle personnalité connue, le gag de tel ou
tel soignant…). Cela nous rend plus accessibles, casse certains préjugés sur
les psychologues, permet de nouer un contact différent – non médical – de
personne à personne et évite les premiers moments de malaise
, souvent
accompagnés par la peur de ne pas savoir quoi dire au psychologue.
En somme, notre
pratique nous a montré qu’une approche trop directe et uniquement centrée sur
les émotions n’est pas aidante ; elle peut être vécue comme une intrusion
et empêcher l’instauration d’un lien thérapeutique. Pour entrer en contact avec
un adolescent, il nous faut apprendre à nous ajuster et à être attentif à ses
besoins. C’est à nous de sentir s’il a besoin que nous lui parlions, que nous
l’écoutions, que nous
nous retirions ou au contraire que nous l’accompagnions en silence.
Cette adaptabilité qui témoigne de notre
capacité à être à ses côtés, à ne pas fuir lorsqu’il souffre trop, va permettre
qu’il accepte par la suite de se faire aider. Cela
sollicite nos capacités d’ouverture et notre souplesse psychique.

Proposer un lieu
d’échange plus contenant

Lorsque le premier contact est établi, l’adolescent
(comme ses parents) ose plus facilement
entrer dans notre bureau. Nous avons remarqué plusieurs fois
que, selon les ressources externes des patients, ils orientent très
différemment les entretiens selon les lieux. Chacun perçoit rapidement la fonction
contenante du bureau. Ceux qui bénéficient d’un soutien psychologique ne confient
pas des choses qui leur tiennent vraiment à cœur dans un lieu où l’intimité
n’est pas assurée. Par contre, cela peut arriver à ceux qui n’en n’ont pas : ils
interpellent facilement les personnes présentes, que ce soit  dans la salle à manger ou la salle de jeux,
sans tenir compte de leur capacité à « encaisser » leurs questions. L’éducatrice
raconte ainsi qu’un jour au cours d’un repas, un enfant gravement malade a demandé
aux autres enfants hospitalisés : « Et vous, vous pensez que vous
allez mourir bientôt ? ». Ces questions
taraudent les adolescents, mais faute d’espace pour les exprimer, elles
jaillissent dans un contexte peu favorable à les soutenir. L’accompagnement est
essentiel et aide à construire une zone d’intimité réservée aux questions
difficiles et personnelles.
Lorsqu’arrive
le moment où l’adolescent ne peut plus quitter sa chambre, s’il partage sa
chambre avec un autre patient, notre rôle est de nous adapter pour maintenir
une certaine intimité : mettre un paravent, nous rapprocher du lit de
manière à baisser le niveau sonore de la parole, sont des moyens simples mais
efficaces, même s’ils sont parfois symboliques, de construire une zone
sécurisante propice à un échange plus en profondeur.

            Proposer des questions très larges,
comme une occasion à saisir

Les
moments de transition peuvent être délicats. Passer de l’échange informel à la
relation entre psychologue et adolescent se doit d’être le plus fluide
possible. Il ne s’agit pas d’effrayer ou de figer la pensée par des questions
trop directes.
Pour
éviter les laconiques réponses « Ok » ou « ça va » à la
question « Ca va ? », préférons une
question plus large comme
« Comment tu te sens ? ». Nous donnons ainsi à l’adolescent le choix de répondre « j’ai
mal à la tête » ou « je me sens triste ou seul» ou de ne pas
répondre.
Nous évitons ainsi une intrusion dans le vécu d’un adolescent
qui ne serait pas encore prêt à se confier. Mais il peut également se saisir du
sens plus profond de la question qui l’interpelle sur ce qu’il vit et ressent.
Lorsque l’adolescent
nous répond que tout va bien, nous pouvons lui préciser que nous faisons partie
de ceux qui peuvent entendre : « J’ai accompagné beaucoup de jeunes qui
ont vécu comme toi des situations particulièrement difficiles ». Nous
pouvons alors partager avec lui notre expérience de ces situations. « Il y
a quelque temps, j’ai rencontré un jeune qui m’a expliqué que pour lui le plus
dur, c’était de devoir toujours rassurer ses parents, faire comme si il était
fort et que tout allait très bien, alors qu’il était profondément bouleversé
par ce qui lui arrivait. Depuis, je me méfie toujours et quand quelqu’un me dit
que tout va bien, je m’assure que c’est vraiment le cas ou qu’il veut juste que
je le laisse tranquille ! Ou peut-être que là, maintenant, tout va
bien, mais comment ça se passe quand tu es seul ? Qu’est-ce qui se passe en toi
juste avant que tu t’endormes ? À quoi tu penses ? Qu’est-ce que tu
ressens ? ». Les questions restent encore vagues, ouvertes et amorcent
les questions plus précises qui vont suivre.
Certains
psychologues peuvent penser que ce type de questions induit les réponses de
l’adolescent et peut influencer ses pensées. Effectivement cela peut arriver,
nous nous en rendons alors rapidement compte et réorientons notre
accompagnement. Mais en général, ces sollicitations sont plus aidantes que de
longs silences qui mettent l’adolescent mal à l’aise. Elles favorisent le lien
et sortent le jeune de son isolement et du sentiment d’être seul au monde à vivre
une situation aussi terrible.

Proposer
ensuite des questions plus précises

Lorsque l’échange est bien engagé, nous pouvons proposer des
questions qui amènent l’adolescent à aborder une dimension affective et à
réfléchir sur ce qui lui arrive : « Qu’est-ce que tu as compris de ce que
t’ont dit les médecins ou de ce que tu as entendu dans le couloir ? Comment
l’as-tu vécu ? Qu’est-ce que tu en penses ? » Ce sont là des
invitations à élaborer une construction personnelle à l’aide des mécanismes de
défense qui sont les siens. Il nous donne ainsi une idée de ce qu’il a compris,
des informations médicales qu’il a eues, de la façon dont il les a
interprétées, de ce qu’il en a retenu et comment il vit avec. Nous avons un
aperçu de ce qu’il a pu entendre et comprendre à travers les informations
reçues, qu’elles lui aient été directement ou indirectement transmises
(informations entendues par lui ou un autre enfant dans les discussions des
soignants dans le couloir… ce qui est fréquent en milieu hospitalier). Cela
peut aussi nous permettre de faire préciser des informations incomplètes données
par un médecin. Nous pouvons ainsi ajuster notre accompagnement à ce que vit
précisément cet adolescent.
Quand un adolescent
a du mal à parler de lui, nous pouvons l’interroger sur ce qu’il perçoit du
chamboulement que l’hospitalisation entraîne dans sa famille : « Et
tes parents, tes frères et sœurs, tu trouves qu’ils vont comment ? ».
Lui faire penser les difficultés et la souffrance de son entourage est une
façon de le rendre acteur de la situation en lui permettant de se décentrer de
son pronostic vital.
À l’approche de la
mort, sa soif de relation et d’amour sont très importants. Alors que l’arrivée
de la puberté l’avait poussé à mettre le plus d’espace possible entre lui et
ses parents, le moment où il comprend qu’il va devoir quitter ses proches et
qu’il doit faire le deuil de tout espoir d’autonomie est un moment où il
cherche à se rapprocher intensément de tous ceux qui ont compté dans sa vie et
notamment ses parents.
Enfin, aider à
la mise en mots des émotions
Notre
travail consiste à lui apprendre à relier ses sensations corporelles à ses
émotions : « Quand tu penses à tout ça, est-ce que ça te fait mal
quelque part dans ton corps ? As-tu comme un mal de tête ? Ou la
gorge serrée ? Ou le ventre noué ? » Nous pouvons aussi l’aider à
comprendre l’émotion qui se cache derrière ces manifestations somatiques. Comme
cela n’est pas toujours facile, nous pouvons donc lui donner des pistes : « Lorsque
tu penses à ta maladie et que tu as cette sensation d’étouffer, est-ce que ça
peut correspondre à de la peur ? à de l’angoisse ? à de la
colère ? à de la tristesse ? ». L’adolescent peut, en différenciant
ses émotions et leurs significations, essayer de se dégager de leur emprise : ainsi
la colère peut renvoyer à l’injustice, la tristesse à la perte, l’angoisse à
l’inconnu qui évoque un danger.
L’adolescent
mélange souvent ses angoisses personnelles et celles de son entourage. Il s’inquiète
beaucoup pour ses proches, notamment pour sa mère.
Nous retrouvons
souvent cette composante dans nos accompagnements. Quand un adolescent sait
qu’il va mourir prochainement, sa plus grande peur peut être la mort, mais ses
préoccupations sont surtout en lien avec ses proches : « Que vont-ils
devenir ? Et ma mère, comment va-t-elle s’en remettre ? ».
Il
arrive parfois que l’adolescent refuse la présence de certains de ses proches
pour les préserver. L’agressivité de l’adolescent en fin de vie nous amène
toujours à nous interroger : cette agressivité vise-t-elle à le protéger ou
à épargner à ses proches une épreuve qu’il juge trop lourde pour eux ?
N’oublions pas non plus que la douleur et le manque de sommeil modifient le
caractère. L’accompagnement psychologique, quand il est investi, peut lui
permettre d’ordonner ses pensées, de clarifier ses émotions et d’essayer
d’entrer dans une certaine forme d’acceptation ou de lâcher prise.
Aider le jeune à confier ses angoisses, fantasmes ou
représentations de la mort
Tant que sa conscience et son état de santé le lui permettent, le
jeune oscille bien souvent entre deux attitudes opposées : par moments, il
s’engouffre dans des distractions qui le détournent de son angoisse de mort tandis
qu’à d’autres moments, il recherche le sens profond de son existence. Pour
qu’il trouve la voie qui lui correspond au moment où nous le rencontrons, il
est important de l’inciter à poursuivre : « 
Et toi, comment tu l’imagines la mort ? Quand
tu y penses, ça te fait penser à quoi ? Et comment tu te sens en y pensant ?
 »
Il peut parfois être difficile pour lui de répondre directement à
nos questions
. Nous pouvons alors nous appuyer sur notre expérience clinique pour
proposer des repères qui aident l’adolescent à s’identifier ou à se
différencier :
« J’ai rencontré un enfant qui avait très souvent sa gorge qui
se serrait tant que ça lui faisait mal, mais il ne comprenait pas pourquoi.
Nous en avons parlé ensemble et, en fait, il exprimait ainsi sa peur de mourir.
Quand il a compris et accepté son angoisse, elle a diminué ».
Les adolescents peuvent  passer
d’une réflexion sur leur mort imminente à l’évocation, quelques instants plus
tard, de projets à plus ou moins longs termes. Cela peut nous dérouter ou nous
donner l’impression qu’ils n’ont pas bien compris l’aspect irrémédiable de la
situation. De plus, même si elle est souvent reléguée très loin au fond de
notre conscience, nous avons tous des représentations internes de la mort,
contenues par nos mécanismes de défense, mais nous n’avons pas la même capacité
à les évoquer, la même labilité émotionnelle que les enfants et les adolescents.
Cela ne signifie pas que l’adolescent n’a pas conscience de l’enjeu ultime
qu’est la mort, mais qu’il est dans une temporalité différente de la nôtre.
Cette mort regroupe une multitude de peurs que nous devons l’aider à dégager.
Afin d’ancrer nos
propos dans une réalité de terrain, voici deux illustrations cliniques
. Après autorisation parentale, ces deux jeunes ont accepté que leurs propos soient filmés dans un
but d’enseignement et de recherche. Ils ont tous les deux exprimé le désir que
leurs expériences soient utiles à d’autres, libèrent la parole des adolescents
et aident les adultes à cesser de faire de la mort un tabou.
Ø   Judith a
besoin d’évoquer tous les scénario possible avant de subir une opération dont
les risques de séquelles ou de mort sont importants.
            Judith
a dix-sept ans, une scoliose
congénitale très importante comprime ses poumons. Dans la rue comme au lycée,
régulièrement, elle subit les moqueries des uns et des autres, jusqu’au jour où
elle apprend qu’une opération peut être tentée pour redresser sa colonne
vertébrale. Elle a très peur de cette intervention. Le chirurgien lui explique
qu’elle comporte certains risques, dont les séquelles peuvent être lourdes de
conséquences.
Judith sait qu’elle ne doit pas parler de la mort, qu’il s’agit d’un
sujet tabou. Dès qu’elle essaie de l’aborder, chacun de ses proches lui fait à
peu près la même réponse : « Mais
arrête, ne pense pas à des trucs comme ça, il n’y a aucune raison que tu meures.
Tout va bien se passer
 ». Ainsi son besoin de partager ses questions,
ses doutes, ses représentations ou ses angoisses en lien avec la mort reste
sans réponse. Elle doit affronter seule ses bouleversements internes.
            Lors
du premier entretien, je commence par tenter de comprendre d’où vient son
handicap et comment elle le vit
.
Je m’intéresse à sa perception et à sa façon d’y mettre du sens. Elle m’explique
que sa naissance n’a été  possible que
grâce à la négligence des médecins qui n’ont détecté ni sa malformation du dos,
ni son doigt en moins.
Psychologue : Avec du recul, est-ce que tu te dis : heureusement
qu’ils ne l’ont pas su ? 
Judith : Oui, parce que j’aurais eu peur que mes
parents ne veuillent pas de moi… mais, en fait, ils m’ont gardée après ma
naissance… ça me fait penser qu’ils m’ont acceptée comme je suis et ça me fait
du bien…
À cause de sa
malformation, Judith se demande si sa vie est légitime. Elle est donc
intimement convaincue qu’elle doit gagner le droit d’exister, l’amour de ses
parents, la considération de son entourage et l’acceptation de sa différence de
la part de tous.
Psychologue : À quel moment t’es-tu sentie
différente ?
Judith : Quand j’avais 12 ans, j’entendais les gens
dire : « Sales handicapés, ils devraient pas être dans le monde »… Ça
travaille et ça reste.
J’interroge alors Judith
pour l’aider à comprendre ce que ces réflexions ont fait naître en elle, à
quelles émotions cela l’a confrontée et sur quelles ressources elle a pu
s’appuyer, pour trouver des forces.
Judith : Au début, je ressentais de la colère. Je me
demandais toujours
 : Pourquoi
j’ai cette malformation ?
J’ai
rien demandé. J’avais pas la joie de vivre…
Psychologue : Qu’est-ce que tu as envie de dire à ceux qui
subissent les mêmes choses que toi ?
Judith : Faut rester positif
et aller de l’avant : Si les gens t’aiment, tant mieux, et sinon tant pis !
On vit pour soi-même. Quand un garçon m’a traitée [d’handicapé], j’ai dit : «
je suis une handicapée et  je suis bien
comme ça », et ses copains lui ont dit que je l’ai bien mouché. Et ça fait
du bien…
Psychologue : Comme si le
sourire avait gagné sur la moquerie et l’agressivité…
En plaçant Judith en position d’experte qui peut à son tour transmettre
son expérience à d’autres jeunes qui ont les mêmes souffrances qu’elle,
j’essaie de l’aider à rebondir, à lui montrer qu’elle peut avoir un sentiment
de contrôle sur les événements. Cela est bien perçu par elle et l’amène à
conclure : « Bien qu’on soit différents,
on a le droit de vivre »,
lui permettant ainsi d’affirmer son droit à exister dans la
société.
           
Avant qu’elle ne
soit de nouveau opérée, je tente de comprendre ce qu’elle a vécu lors de sa première
opération et dans quel état d’esprit elle se trouve. Elle me dit : « Avant la première opération
, je me faisais des films dans ma
tête : est-ce que je vais me réveiller ? ou est-ce que je vais
me réveiller en pleine intervention ?
 » Alors qu’elle n’a pas pu
en parler avec ses proches, Judith aborde d’elle-même son expérience de mort
imminente : « En fait, tout s’est bien
passé mais j’ai eu des problèmes respiratoires et je me suis vue partir. Mon
âme, elle, est partie… Je suis passée à travers le mur de la salle d’opération,
puis dans un tunnel et au bout, j’ai vu ma mamie qui me disait que ce n’était
pas mon heure et que je devais encore profiter de ma famille. Et ça, ça m’a
vachement marquée… (pleurs). C’est là que j’ai compris que derrière la mort,
y’a toujours une vie derrière. »
 Lorsque je lui demande quelles
sont ses peurs actuelles, elle rationnalise et dit que tout va bien se passer. Toute
la difficulté de ces suivis consiste à être au plus près des préoccupations de
l’adolescent : nos échanges visent à l’aider à mettre en mots ses
inquiétudes, ou angoisses et à le préparer à ce qui l’attend sans devancer ses
peurs ou en créer de nouvelles.
Psychologue : Il y a la part
rationnelle en nous qui dit qu’il faut faire confiance, le chirurgien sait ce
qu’il fait. Ta tête a bien compris mais ton cœur, il a peut-être les « chocottes
» ? Tu m’as parlé du scénario positif. Mais est-ce qu’il y a un scénario
négatif ? Je sais que tu pourras parler du scénario positif avec tes
proches mais, tu ne trouveras pas forcément quelqu’un avec qui parler du ou des
scénarios négatifs,…si tu as envie qu’on parle… Ça te ferait peur de partager
ce côté obscur ? Est-ce que pour toi ce serait lui donner plus
d’importance ?
Judith : Le scénario négatif,
je le garde en moi. Même aux infirmières, je ne leur dis pas. Je garde la peur
pour moi parce qu’elles ne vont pas comprendre et elles vont avoir peur.
Psychologue : On ne peut pas supprimer
cette voix de la peur, mais on peut lui faire une plus petite place pour
qu’elle n’envahisse pas tout… ton cœur, ta tête, ton corps. C’est en la mettant
en mots que tu pourras  lui donner une
taille supportable.
Judith : Oui, ça va me faire
du bien de parler de mes peurs. La peur de ne pas me réveiller. C’est une peur
atroce
La peur de quitter ceux qu’on aime
est terrible… Pour la première opération, je me suis agrippée au bras de ma
maman et je pense que j’ai dû lui faire mal… je m’excuse encore mais j’ai eu
tellement la trouille de l’abandonner. Et je lui ai dit : « T’as pas le
droit de me quitter. »
Après avoir eu
peur d’être abandonnée à cause de ses malformations, la peur que ses parents la
quittent refait surface : elle projette sur sa mère ses propres peurs.
L’adolescent
peut parfois passer beaucoup de temps et dépenser beaucoup d’énergie à lutter souterrainement
contre la peur de la mort, mais malgré ses tentatives de contrôle il se
retrouve soudain submergé par un sentiment d’impuissance. Ses peurs sont
multiples : peur de souffrir, de laisser sa famille dans la douleur et de
ne pas savoir ce qui va lui arriver, peur d’être oublié ou abandonné et qui
induit l’ultime peur : celle de la solitude extrême où il faut lâcher un
monde connu pour aller vers l’inconnu. Judith aborde sa peur de perdre l’amour
de ses parents, sa peur qu’ils l’oublient.
           
 Lorsque j’ai la sensation qu’elle a été aussi
loin qu’elle le désirait, je lui propose d’explorer ses autres peurs.
Psychologue :
On aborde une autre peur ?
Judith : Il n’y en a pas
d’autres, soit je revis normalement et je marche, soit je meurs.
(Judith
utilise pour la première fois le terme cru)
Psychologue : Il n’y a pas
d’entre-deux ?
Judith : Non. Si, peut-être…
la paralysie, si l’opération touche la moelle épinière… J’aurai plus jamais
ma vie d’avant…
Psychologue : Une vie en
fauteuil roulant, tu te dis que c’est la fin de toute la vie ou tu arriverais à
surmonter ça ?
Judith : Je n’y arriverai pas.
Je serais obligée de tout demander à quelqu’un, je serais dépendante pour tout,
tout le temps. C’est pas possible pour moi.
Pour l’adolescent qui risque de mourir ou d’être paralysé lors d’une
opération, la peur des séquelles peut être plus forte que celle de perdre sa
vie. Judith a une malformation mais elle marche. Elle fait le pari de pouvoir rendre
son handicap moins visible, ce qui lui rendra une allure plus proche de celle des
autres jeunes filles. Mais ce pari a un revers possible, celui de ressortir
paralysée de l’opération et de rester en fauteuil toute sa vie. Même si la décision
d’opérer est médicale et vise avant tout une meilleure capacité respiratoire, Judith
appréhende. Elle a la sensation de « tenter le diable », juste pour
une raison esthétique et cela fait naître en elle un sentiment de culpabilité.
Psychologue : Tu as déjà vécu
des situations extrêmes et tu as trouvé des forces en toi, un chemin de vie au
cœur de quelque chose de très lourd. Ca pourrait être pareil ?
Judith : Hum…
Psychologue : On ne sait pas à
l’avance comment on réagira face à l’épreuve. Si tu t’écrivais une lettre à
toi-même, tu mettrais quoi dedans ? « La vie n’a plus de sens » ou
plutôt « Bats-toi, la vie vaut le coup » ou quoi d’autres ?
Judith : Il faut que tu te
battes pour ta famille.
La
semaine suivante, je reviens sur ce qu’elle m’a confié précédemment :
            Psychologue
: Tu as envie qu’on aille au bout de « la
peur de ne pas te réveiller » ? Puisque c’est comme ça que tu veux qu’on
appelle cette peur.
            Judith :
Oui. Ce que je sais, c’est que d’ici-là,
j’ai envie de vivre au maximum, de profiter
de ma famille et de mes amis.
            Psychologue : Tu aurais envie de leur dire une dernière chose au cas tu ne te
réveillerais pas
? Une lettre que je pourrais
leur donner ? Quel est ton besoin pour être en paix ?
            Judith :
Leur écrire une lettre : les
remercier pour tout ce qu’ils ont fait, leur soutien depuis que je suis petite…
Ils ne m’ont jamais lâchée malgré mon handicap et ça, je les remercierai jamais
assez… Cette lettre c’est une bonne idée, comme ça s’il arrive un malheur,
y’aura toujours une trace de moi.
(pleurs)
            Psychologue : Comme si tu passais ton message au monde.
            Judith : (rires) Et que j’évacuais tout ce que je ressens
envers eux. J’arrive pas à leur dire comme je les aime. Mais la lettre le dira
pour moi. Je veux que leur vie reprenne, parce qu’autrement  ça leur ferait du mal.
(pleurs)
            Psychologue : Donc, tu leur dirais : « Allez-y,
enlevez de ma chambre toutes mes affaires et faites un bureau ? »
Judith : Oui. S’ils y arrivent…si
ils arrivent à passer au-delà de tout ça, ça me ferait passer au-delà de mon
sort.
Subir
une opération risquée, c’est prendre conscience de sa finitude. L’adolescent mesure
soudain le caractère réellement précieux de la vie et est alors obligé de
réfléchir ou de revoir ses priorités. Alors que l’enfant n’hésite pas à dire
« je t’aime » à ceux qui l’entourent, l’adolescent – à cause de son
extrême sensibilité, de sa pudeur et de son besoin de prendre de la distance
avec ses proches – cesse de leur exprimer son attachement et son amour. La
perspective du risque létal vient modifier son rapport à ceux qui l’entourent
et ravive le besoin d’exprimer à ses proches son affection et l’importance
qu’ils ont pour lui.
Ø 
Malo, un
adolescent atteint d’un cancer en phase terminale
Il y a
trois ans, Malo, 13 ans, a ressenti une très forte douleur dans le dos. Son
cancer a alors été diagnostiqué et plusieurs tumeurs découvertes. Maintenant
qu’il est à la fin de sa vie, Malo n’est pas révolté. Tous les jours, il
souffre, mais il a intégré la douleur comme une des composantes de son
quotidien dont il n’a plus peur. Il sait que les médecins ne peuvent plus le
guérir, mais qu’ils continueront à l’accompagner jusqu’au bout pour réduire ses
douleurs au maximum. Lors de notre dernier entretien, je commence par revenir
sur sa façon de vivre cette douleur.
Malo :
Il y a des paliers de douleur et la
morphine aide, mais c’est par à-coups. Je prends de plus en plus de médicaments…
Psychologue :
Et alors, tu as moins mal ?
Malo :
Ça va très vite mieux, mais ça ne dure
pas longtemps. Alors souvent j’ai de nouveau très mal. Ce qui me fait vraiment
du bien ce sont les petits massages.
Lorsque
l’adolescent parvient à dire ce qui le soulage, cela permet aux parents de
retrouver des gestes qu’ils savent utiles. Ils peuvent alors réendosser une
partie de leur rôle de parent protecteur qui est mis à mal par la prise en
charge médicale et l’impuissance devant la maladie. En phase terminale, les
soins ne donnent plus à l’adolescent la sensation d’être infantilisé mais font
naître un sentiment de protection, de bien-être, de sécurité et d’amour.
Lorsque
la maladie s’aggrave et devient envahissante, il est important d’aider
l’adolescent à ne pas se laisser enfermer par elle ou par la perspective de la
mort et de continuer à s’inscrire dans la vie en reprenant possession de son
histoire. Ainsi Malo veut revenir sur les grandes étapes de sa maladie, prendre
conscience de comment elle s’est déroulée et de ce qu’il a traversé. Il dégage
un message qui lui tient à cœur : être dans la vérité.
Psychologue :
Quel conseil tu donnerais à un médecin
qui doit annoncer une maladie ?
Malo :
De toujours tout expliquer à l’enfant.
Psychologue :
Est-ce qu’il y a une meilleure façon de
s’y prendre et d’expliquer ?
Malo :
Mon médecin était bien. Il était en
vérité.
Psychologue :
Est-ce que c’est surtout ça qui
compte ?
Malo :
Pour moi, oui. Après il y a peut-être des
gens qui ne veulent pas savoir.
Malo,
comme bien d’autres enfants ou adolescents que nous avons suivis, demande une
information vraie, juste et claire. Mais il est aussi capable de se décentrer
pour prendre en compte ce que ressentent les autres.
Psychologue :
Quand tu as perdu tous tes cheveux,
comment l’as-tu vécu ?
Malo :
Au départ, ça fait un peu peur. Parce que
quand je passe ma main dans les cheveux, ça fait pff… et ils restent dans ma
main. Mais après on m’a expliqué et ça a été. Et puis, si on est le seul à
avoir des cheveux, on se sent un peu intrus mais quand on rentre à l’IGR [Institut
Gustave Roussy] tout le monde est chauve. Et puis avec ou sans cheveux, c’est
comme ça, et moi je suis toujours moi.
Alors
que son physique change et lui échappe, Malo reste conscient que cette perte ne
lui fait pas perdre son identité. Elle le fait juste appartenir à un autre
monde : il quitte celui des bien-portants pour intégrer celui des personnes
atteintes de cancer.
Psychologue :
Quand ton médecin, après plusieurs chimio
qui n’ont pas réussi, t’a dit que tu ne pouvais pas guérir, comment l’as-tu
vécu ?
Malo :
Ca a été un coup dur quand même… Mais il
m’a dit : « T’inquiète pas, on te laissera pas souffrir. Après je me suis
vite ressaisi.
Psychologue :
Ça a duré combien de temps le choc de
cette annonce ?
Malo :
2 ou 3 jours.
Psychologue :
Et tu étais comment ?
Malo :
La nuit, je pleurais… Je n’avais pas peur
de mourir mais j’étais un peu triste de mourir. C’est l’idée de tout laisser
qui fait ça. Et comme je suis chrétien, j’en ai parlé à un prêtre.
Psychologue
: Il a su bien t’accompagner ?
Malo :
Oui.
À
l’approche de la mort, beaucoup expriment une soif spirituelle. C’est une
ressource à prendre en compte. Nous pouvons ainsi aider les adolescents à
exprimer toutes leurs questions en rapport avec le sens de la vie ou, s’ils le
demandent, les mettre en contact avec les représentants de leur religion. Cela
leur permet de développer leur vie intérieure, ce qui peut être très important
au moment où leur corps se dégrade.
Psychologue :
Cette annonce : « Tu ne vas pas
guérir », ça veut dire quoi pour toi ?
Malo : Qu’on peut pas me soigner.
Psychologue :
Dans ta tête ça veut dire quoi qu’on peut
pas soigner ?
Malo :
Ben, que je vais mourir. (Malo le dit
sur un ton d’évidence)
Psychologue :
Tu y penses beaucoup ou  pas tellement ?
Malo :
Je sais pas. Quand même assez souvent.
Mais je profite de chaque jour de ma vie.
Psychologue :
Tu penses que tu vas mourir dans longtemps
ou rapidement ? Comment vois-tu les choses ?
Malo :
Je ne me pose pas la question. Je
profite. En ce moment, on essaye un médicament qui peut réduire la tumeur, on
va voir si ça marche… Mais si elle grossit encore…
Psychologue :
Du coup, tu gardes une part d’espoir en
toi ?
Malo :
Oui, mais je préfère attendre et ne pas
me dire que c’est gagné pour ne pas avoir de fausse joie.
Annoncer
à quelqu’un qu’il va mourir, c’est lui permettre de comprendre les sensations
corporelles que lui indique son corps et cela lui permet de ne pas le vivre
seul. C’est aussi lui permettre de rester jusqu’au bout acteur de sa propre vie
et de savourer les derniers moments, d’intensifier les liens à ses proches et de
préparer la séparation.
Malgré sa mort
prochaine, Malo n’est pas dans une phase dépressive, il est dans la vie, dans
l’espoir et en même temps, il fait preuve d’une lucidité et d’une maturité que
l’on retrouve souvent chez les jeunes patients gravement malades. Il oscille entre
l’acceptation de l’inéluctable et la volonté de croire jusqu’au bout à une
autre issue. La partie qui sait (intellect) n’étouffe pas pour autant la partie
qui espère (affect).Tant que nous sommes vivants, c’est-à-dire jusqu’à
l’instant de notre mort, une part d’espoir ou plutôt d’espérance demeure.
Psychologue :
Est-ce que ça aurait été mieux que tes
parents ne te disent pas que le cancer a récidivé ?
Malo :
Ah non ! Ça, je suis pas d’accord.
Faut que je sache quand même. Je suis en âge. Et enfin non, même, y’a pas
d’âge. C’est pas bien, des parents pas en vérité avec leur enfant. Ne pas dire
la vérité, c’est égoïste.
Malo pointe du doigt le fait suivant : ne pas dire la
vérité ne vise pas à protéger l’adolescent, mais à protéger les parents. Ils
ont si peur, ils souffrent tellement qu’ils pensent que ne pas dire que l’issue
est certaine, permet de passer les derniers jours dans la paix.
Ils n’imaginent pas que taire la
vérité à leur enfant puisse lui être néfaste. Or en réalité, le jeune va à la
fois devoir tout quitter sans pouvoir s’y préparer mais aussi affronter seul
l’angoisse de l’inconnu.
L’adolescent
a besoin qu’une relation de confiance puisse perdurer. Seules des relations
authentiques peuvent lui permettre de lutter contre le sentiment de solitude
qui est si fort lorsque l’on souffre ou que l’on sait que l’on va être séparé
définitivement de ceux que l’on aime. 
Psychologue :
Comment ça se passe avec la tristesse de
tes parents ?
Malo :
Je pense qu’il faut faire attention à
eux. Mais ma mère m’a dit : « Promets-moi que tu me cacheras rien », et
je lui ai promis.
Cette
famille a réussi à réaliser un double pacte : que chacun soit en vérité
avec l’autre. Cela permet à l’adolescent de rester adolescent et de pouvoir
être soutenu dans ses peurs, même si elles sont difficiles pour ses parents et
difficiles pour lui à exprimer car il voit que cela les rend tristes. Instaurer
un rapport authentique permet de rester dans un lien vrai et d’abattre la barrière
invisible que l’on retrouve habituellement entre l’adolescent et ceux qui vont
rester après lui. Il n’est ainsi pas exclu et maintenu dans une zone de non-échange.
Malo :
Vous pensez que la peur s’en va puis
revient. Mais c’est plus compliqué. C’est pas vraiment de la peur. C’est plutôt
des questionnements. Des questions qui sont là, des pourquoi… Non, en fait j’ai
rien dit… Vous ne pouvez pas comprendre ça. Je veux rien dire.
Être à
l’écoute de celui qui va mourir, c’est forcément être celui qui ne peut pas
comprendre. L’adolescent va donc alterner entre des moments où il se confiera
facilement et d’autres où il se repliera dans une position qui signifie : « de
toute façon, tu ne peux pas comprendre ». À nous de faire la part entre
une nécessaire remise en cause de notre approche et un point de vue intrinsèque
qui ne doit surtout pas nous chambouler au point de venir justifier notre désir
de fuir.
Comme le montrent ces deux illustrations
cliniques, l’adolescent qui va mourir a besoin des autres, d’être en lien, de
se rapprocher de ceux qui l’aiment. Pour lutter contre l’inéluctable sentiment
de solitude, il a aussi besoin d’une personne avec qui parler de sa mort. En
nous mettant à son écoute et en l’aidant à formuler ses questions, qu’elles
soient pleinement élaborées ou qu’elles se cherchent, nous l’aidons à dire, à
penser, à ressentir, à
verbaliser
ses sensations, ses sentiments ou ses émotions. Il peut nous être difficile
d’entendre ses tristesses, ses angoisses, ses colères, ses impuissances, son
sentiment d’injustice… Notre rôle est de l’accompagner dans son cheminement,
même lorsque nous n’avons pas de réponse à lui apporter, même lorsque nous nous
sentons impuissants, que nous ne parvenons pas à le rassurer ou que nous avons
envie de fuir. Ce qui est important, c’est que nous soyons là afin de
recueillir, et si possible, de contenir ses affects négatifs et l’aider à
réaliser qu’ils ne le définissent pas. Cela lui permettra alors d’entrer dans une sorte d’acceptation du destin.
La force de vie de
l’adolescent qui traverse des situations extrêmes peut être pour nous une
source d’enrichissement considérable. Il
nous apprend à avoir un regard plus juste sur nous-mêmes et sur notre propre
vie, à relativiser certaines choses et à revenir à l’essentiel. Mais pour
pouvoir faire cette lecture ou relecture de nos pratiques, il nous faut sans
cesse changer notre regard, accepter de perdre des repères bien appris et
rassurants. Cela nous demande aussi d’apprendre à prendre soin de nous-mêmes
(nous épargner parfois, connaître nos limites, savoir trouver la juste
proximité…) pour que ce que nous ressentons, notre contre-transfert,
n’interfère pas négativement sur la prise en charge de notre patient.
Lorsque
je termine l’entretien, je demande à Malo ce qu’il voudrait faire passer de
plus important. Il me répond : « On
a jusqu’au bout besoin d’être en vérité les uns avec les autres, même si c’est
dur pour les autres… parce qu’après on se sent plus libre, plus soudé… et pour
de vrai, on peut être plus joyeux…
 ».
*****
Muriel DEROME : « ACCOMPAGNER
L’ENFANT HOSPITALISE ; handicapé, gravement malade ou en fin de vie ».
De Boeck 2014
Muriel
DEROME : « La traversée des pays du deuil ; guide pratique pour
accompagner un enfant ou un jeune en deuil ». De Boeck 2014
HANUS M. et
al. : « La mort d’un enfant approche de l’accompagnement et du
deuil ». Vuibert 2006.
HUBERT N. :
« La vie…avant, pendant et après : les soins palliatifs
pédiatriques ». Montréal. Edition de l’hôpital Sainte Justine. 2012.
OPPENHEIM D.,
ROUSSY G. : « Face à l’enfant qui peut ou qui va mourir ». Revue
internationale de soins palliatifs, vol.26. 2011. PP 7-10.