Accompagnement de l’enfant malade et de sa famille

Muriel Derome, en collaboration avec Lorrain Picard-Dumont, Aygline Dubois

Lorsqu’un enfant s’apprête à venir au monde, et même bien avant cela, ses parents, ses frères et sœurs, ses grands-parents, imaginent quelle personne il sera, un enfant joyeux et décidé, qui aura la vie devant lui. Nous aimerions tous pouvoir protéger nos petits des malheurs du monde. Sauf qu’il est des fois où, malheureusement, la maladie s’immisce et balaie tous les rêves, tous les espoirs. Devenir parents, c’est alors réaliser que nous sommes plus impuissants que nous le pensions. Une équipe de professionnels se mobilise alors, de l’annonce du diagnostic au possible décès, pour accompagner la famille. Comment le psychologue, et tous les professionnels qui travaillent auprès de l’enfant malade et de sa famille, peuvent-ils les aider à vivre avec une maladie incurable ?

La découverte d’une maladie grave est un véritable choc pour les parents, l’enfant malade, mais aussi l’ensemble de sa famille, qui nécessite un processus d’assimilation de l’information. L’annonce constitue un moment clé inoubliable qui peut s’avérer parfois être un véritable traumatisme qui change la signification de certains détails de la réalité. Venant aussi mettre à mal les espoirs, les projets et les désirs des parents. L’annonce de la maladie doit être réfléchie en équipe pluridisciplinaire et élaborée avec beaucoup de délicatesse auprès des parents et de l’enfant malade afin que, quel que soit le pronostic, l’élan de vie ne soit pas complètement étouffé. L’enfant et sa famille ont besoin que l’on ne souligne pas seulement tout ce qui ne sera plus, mais aussi tout ce qui demeurera (« ses cheveux seront toujours aussi doux… »). 

Lors de l’annonce du diagnostic, les besoins des parents sont souvent opposés. Pour l’un, ne pas en savoir trop et avancer un jour après l’autre sera aidant. Pour l’autre, qui a besoin d’anticiper, et s’est interrogé sur le pronostic bien avant qu’il ne soit clairement posé, ce ne sera qu’après avoir imaginé le scénario le plus pessimiste, qu’il pourra aller à la rencontre de son enfant. Comme me l’a dit un jour une maman : « c’est quand j’ai su où j’allais enterrer mon enfant et ce que j’allais dire à son enterrement que j’ai enfin pu le prendre dans mes bras et n’ai plus eu peur de m’y attacher ».

L’annonce d’une maladie chronique provoque chez les parents un chaos à différents niveaux : au départ, il y a généralement une incompréhension devant la soudaineté ou la brutalité de ce qui arrive. Puis souvent de la culpabilité, particulièrement lorsque l’enfant est atteint d’une maladie génétique ou que les parents n’ont pas eu les bonnes réactions au bon moment, mais également lorsqu’ils n’y sont en aucun cas responsables. Ils refont le film de ce qui s’est passé en se disant que s’ils avaient réagi autrement, ils auraient évité le drame : c’est un mécanisme de défense qui vise à supporter l’insupportable fragilité et injustice de la vie.

L’annonce peut exceptionnellement être un soulagement. Il en est ainsi pour Mme F., qui s’est inquiétée pour son bébé qui ne réagissait pas comme ses autres enfants, semblait plus mou : « il ne s’accroche pas dans mon dos comme le faisaient mes autres enfants ». Après plusieurs mois où son pédiatre lui répétait « tout va bien », un neuropédiatre lui a appris que son enfant était atteint d’une maladie neuro-musculaire. L’annonce de cette terrible maladie a rassuré Mme F., qui avait l’impression d’être devenue folle en percevant toutes les aberrations dans les réactions de son bébé. 

La mise en place de l’accompagnement psychologique

 

« Faire route avec »

Accompagner ce n’est pas soigner ou donner des réponses, mais c’est prendre soin, non seulement de l’enfant malade, mais aussi de toute sa famille. Le psychologue se propose de « faire route avec » les familles pour recevoir l’insupportable de ce qu’ils auront à vivre à chaque étape : de l’annonce du diagnostic pouvant aller jusqu’à l’éventuel deuil, en passant par les difficultés organisationnelles, relationnelles ou familiales. 

Relire ce qui a été vécu

Chaque rencontre permet de relire les événements du point de vue de ce que chacun des membres de la famille a vécu : ce qui s’est passé (« je me suis vu faire… »), ce qui s’est dit (« je me suis entendu dire… »), ce qui s’est pensé (« j’ai alors pensé… »), ce qui a été ressenti (« j’ai alors senti monter en moi… ») et les croyances sous-jacentes (« je crois qu’à ce moment-là… »). Chacun vit la situation en fonction de la façon dont il l’a ressentie. Alors, l’enfant malade, ses parents et sa fratrie font face à de nombreux questionnements qui leur sont propres.

Souligner les forces de vie

Quand un enfant est gravement malade, le cercle social se réduit souvent à deux ou trois proches. Le psychologue sera là aussi pour « renarcissiser » les parents, valoriser leur estime d’eux-mêmes et leur redonner une belle image de leurs compétences, qui aété altérée au moment de l’annonce du diagnostic.

L’accompagnement psychologique des parents

Expliquer sa maladie à l’enfant

L’accompagnement psychologique des parents est bien souvent nécessaire pour qu’ils parviennent à écouter et accompagner au mieux leur enfant. Pour continuer à avoir confiance en ses parents, l’enfant a besoin qu’on lui explique les choses telles qu’elles sont. Par peur de briser l’insouciance qu’on prête au tout-petit, certains parents n’osent aborder que partiellement la maladie ou ne peuvent s’empêcher de laisser de l’espoir là où il n’y en a pas – « tu remarcheras très vite… on rentrera bientôt à la maison ». L’enfant comprend la tonalité émotionnelle de ce qui se passe grâce à ses capacités à détecter le langage non-verbal. En revanche, il ne comprend pas nécessairement les raisonnements qui poussent les adultes à réagir comme ils le font et peut alors s’imaginer des scénarios qui l’angoissent davantage. Le psychologue questionne les parents sur la façon dont ils l’aident à comprendre ce qu’il subit : « Qu’avez-vous expliqué à votre enfant ? Que comprend-il de sa maladie ? Les médecins lui ont-ils expliqué ce qui lui arrive ? » De plus, lorsque l’enfant ne reçoit pas d’explication, il risque de penser qu’il est responsable de ce qui lui arrive – « c’est de ma faute si je suis tombé malade sinon ils m’en parleraient, j’ai dû faire quelque chose de mal ou alors, c’est une punition parce que je voulais qu’on rende mon frère à la maternité ». Beaucoup de petits n’osent pas questionner leurs parents par peur de les faire pleurer ou de leur rajouter du chagrin. Ainsi, la présence d’un psychologue permet d’avoir une sorte de regard croisé, nécessaire à la compréhension des spécificités de l’unité familiale tout entière, qui est fondamental à l’accompagnement de chacun. 

Supporter l’impuissance

Il est particulièrement difficile, pour les parents, de se sentir impuissants face à la maladie et la souffrance de leur enfant. Ils donneraient leur vie plutôt que de le voir souffrir sans pouvoir le soulager. 

Développer des capacités d’adaptation

Dès le début, les parents vont devoir faire preuve de grandes capacités d’adaptation. Ils sont obligés de vivre au rythme des traitements, des consultations, des examens ou des hospitalisations. Ils sont contraints de « partager » leur enfant avec les soignants. Ils ne peuvent plus décider seuls de l’organisation de sa journée, mais doivent composer son emploi du temps en y incluant toutes les obligations en lien avec les soins. L’absence de contrôle fragilise leur équilibre psychique.

Tenir dans le temps

Après la période de choc, où les parents découvrent la maladie de leur enfant, s’ensuit généralement une période où ils désirent faire le maximum pour soulager, sauver ou trouver le meilleur spécialiste. 

Leur apprendre à prendre soin d’eux pour mieux prendre soin de leur enfant

Les parents qui ont un enfant malade font bien souvent passer ses besoins avant les leurs. Ils arrêtent généralement toute leur vie pour se mettre entièrement à sa disposition. L’absence de nuits sereines associée aux tensions de la journée entraîne, dans un premier temps, une fatigue, puis une hypersensibilité, et irrémédiablement de l’agressivité. Selon les situations, celle-ci se retournera contre la fratrie (« je ne supporte plus de voir celui de mes enfants qui n’est pas malade bouger, être en pleine forme, vouloir courir, escalader… »), les professionnels (« Dès que je le vois arriver, j’ai la boule au ventre, je me dis que ça va mal se passer… je ne supporte pas la façon dont il me regarde »), le conjoint (« je me dis que si j’avais choisi un autre homme cela ne serait pas arrivé. On dirait que lui, ça ne lui fait rien de voir notre enfant malade… », « elle me reproche de ne rien faire et en même temps ne me laisse pas la moindre opportunité de l’aider ») ou encore les collègues. En général, dans le milieu professionnel, quand des parents découvrent que leur enfant a une maladie grave, ils bénéficient d’une première phase d’empathie et de soutien, souvent rapidement remplacée par une phase de jalousie (« pourquoi lui aurait le droit de passer plus de temps avec son enfant… »). Un des parents est obligé de renoncer à sa carrière, et finit par se sentir profondément seul : « j’ai la sensation de n’être que la maman de Louise… parfois j’aimerais bien aussi sentir que j’existe en tant que professionnelle ou au moins en tant que femme. »

Devenir « soignant »

Être parent d’un enfant malade, c’est, non seulement, prendre soin de lui à tout moment, avec amour, mais c’est aussi devoir apprendre à faire un certain nombre de soins, parfois très techniques. Tout l’enjeu de l’accompagnement sera de réussir à garder sa place de parent tout en effectuant des soins habituellement prodigués par des soignants. 

Un espace pour mettre en mots les maux

L’accompagnement psychologique est également essentiel pour donner un espace aux parents, l’espace où ils s’autorisent à ressentir, penser et exprimer leurs craintes les plus profondes comme celle de la douleur indomptable, de la souffrance impossible à apaiser, du handicap qui exclut, et même de la mort. 

Beaucoup de parents d’enfants malades ruminent inlassablement des questions telles que : « comment ça se passera quand il sera plus grand », « quels projets peut-on lui proposer ? », « qui s’occupera de lui s’il nous arrive quelque chose ? »… L’incertitude du lendemain et l’impossibilité d’avoir des repères fiables font naître en eux beaucoup de souffrance qui peut s’exprimer par une difficulté à fréquenter des familles qui n’ont pas d’enfant malade, une honte en voyant ce que leur enfant peut faire comparé à ceux de son âge, et surtout la peur inavouable d’être dépassés par sa propre agressivité et de ne plus réussir à l’aimer. 

En accueillant la parole des parents, le psychologue les aide à prendre de la distance par rapport à ce qu’ils vivent, à être attentifs à leurs émotions, à élaborer leurs pensées, à tenir compte des limites et des besoins de leur corps et à donner du sens à ce qui n’en a pas.Il tente de faire quitter les « pourquoi » au profit des « comment » : Comment vivre avec cette maladie ? Comment prendre soin du petit malade sans perdre de vue son couple, ses autres enfants, son travail, ses amis et surtout sans s’épuiser soi-même ? Etc. 

L’accompagnement de l’enfant malade

Cet accompagnement doit tenir compte du développement de l’enfant et de ses besoins spécifiques. Quel que soit son âge, il est important de prendre le temps, de l’écouter et de l’aider à poser ses questions en se partant de son point de vue, de ce qu’il ressent, de ce qu’il comprend, de ce qu’il imagine ou de la manière dont il appréhende le monde, de ses croyances et de la place de l’imaginaire et de la réalité dans sa vie (Alice, 5 ans : « Tu sais, j’ai un secret, j’ai un frère imaginaire qui reste toujours avec moi. Dès que mes parents partent, il vient me voir et on passe des heures à jouer ensemble ! »). Il est important de comprendre que ce vécu dépend du degré de compréhension de la maladie – et notamment de la capacité à saisir l’importance de bactéries (ou virus) invisibles et pourtant, pas imaginaires. En effet, l’enfant malade va devoir apprendre à « faire avec », c’est-à-dire à grandir avec sa maladie. 

Quand un tout-petit est atteint d’une maladie chronique, cela aura des conséquences sur sa construction identitaire : c’est au travers de son corps que l’on appréhende le monde tout entier. Il est important, pour le psychologue, de travailler avec l’enfant sur cette question de l’identité. Certes, il est malade, mais il n’est pas la maladie. Il est parfois restreint dans ses mouvements, ses capacités, mais pas dans tout. La qualité d’être demeure souvent intacte. Cette atteinte identitaire n’est pas seulement liée au corps, elle dépendra de la façon dont l’enfant sera regardé, comparé ou non à d’autres enfants par ses proches.

L’enfant est souvent très étonnant dans sa façon de vivre l’épreuve de la maladie. Il est capable d’une force de vie que nous, adultes, n’avons plus. Sa force réside dans sa capacité à vivre l’instant présent. Pour être libre de vivre l’instant, il a besoin d’adultes qui ne fuient pas devant ses questions. Accompagner l’enfant, c’est lui donner un sas dans lequel il pourra aborder, par le biais de la parole ou du jeu, chacune de ses réflexions. Le psychologue, de par son positionnement, peut lui montrer que la mort n’est pas une question taboue, qu’on peut en parler sans « zapper », fuir ou se décomposer. Il est de notre capacité à aborder paisiblement comment se passe la mort : « On meurt quand on est arrivé à la fin de sa vie. On ne peut pas garder les morts avec soi. Tu vois, les morts, c’est comme les bonshommes de neige, on ne peut pas les garder à la maison, car ils s’abîment. Alors on met le corps dans une boite qui s’appelle un cercueil. Là, on peut soit l’enterrer, c’est-à-dire mettre le cercueil sous la terre, soit le brûler comme pour se rappeler la chaleur de son amour. Nous ne sommes pas qu’un corps, nous sommes aussi amour (les croyants parlent de l’âme) et tout l’amour que l’on a pour les autres et que les autres ont pour nous demeure quoi qu’il arrive dans le cœur de ceux qui nous ont aimé. » 

La fratrie

La fratrie de l’enfant malade est, elle aussi, soumise à de nombreux bouleversements. Ils se sentent coupables d’être en bonne santé alors que leur frère ou leur sœur souffre. Jaloux de l’attention qu’obtient l’enfant malade, certains vivent le fait d’être en bonne santé comme une injustice. Comme leurs parents paraissent absents même quand ils sont présents physiquement, ils ont la sensation d’être devenus transparents. Certains vont aller jusqu’à adopter des comportements à risques pour capter leur attention.

A contrario, il arrive aussi souvent que les rôles s’inversent et que l’enfant bien portant se fixe comme mission d’être « parfait » et de prendre soin de ses parents. On note alors chez ces enfants une étonnante maturité avec des capacités d’autonomie hors du commun. Ils sont dans une hyperattention à tout ce qui peut leur faire plaisir, à ne pas faire de bêtises, à ne rien dire qui pourrait leur faire du mal ou leur donner trop de travail. Il faut alors offrir un espace où la fratrie pourra évoquer ses craintes et ses ressentis (même négatifs) sans culpabilité. Ils peuvent envoyer des signaux d’un mal-être : l’isolement, les retards d’apprentissages, l’échec ou le surinvestissement scolaire, les troubles du sommeil ou de l’alimentation, l’hyperactivité, les prises de risques ou au contraire extrême prudence, ou la recherche de perfection ou de contrôle sont autant de signes à surveiller. 

Conclusion

L’accompagnement psychologique est essentiel, car en aidant à la mise en mots de ce qui a été vécu tant sur le plan somatique, intellectuel, spirituel, affectif ou psychique, le psychologue permet aux enfants et aux familles de ne pas s’enfermer dans leur vécu traumatique. De cette manière, il tente de semer des germes de résilience. Une dynamique de vie peut ainsi se remettre en place. L’accompagnement psychologique d’un enfant gravement malade ne dépend néanmoins pas seulement du psychologue, mais bien de l’écoute et des qualités humaines de ses parents et de toutes les équipes soignante et éducative, sans cesse sollicitées. Le traumatisme entraîne sur eux des répercussions, des sidérations, et ils ne peuvent, par conséquent, pas être à l’écoute de certains faits, pensées, sentiments ou émotions qui en découlent. Par son positionnement, le psychologue peut aider à la mise en mots de ce qui a été vécu au plus profond de chacun, familles comme soignants. 

Tous ceux qui accompagnent d’une manière ou d’une autre un enfant malade et sa famille doivent apprendre à prendre soin d’eux pour mieux prendre soin des autres : connaître nos propres besoins, y rester attentifs, accepter et consentir à nos propres limites, nous permet d’être dans une relation plus ajustée aux enfants malades et à leurs familles. Il ne nous faut ainsi jamais cesser de poursuivre un travail sur nous-mêmes, car si nous n’y prenons pas garde, nous risquons de ne pas tenir sur la longueur, de ne plus être fidèles à notre éthique ou au contraire de nous laisser tyranniser par notre surmoi ou un idéal de nous-mêmes. La recherche de la perfection épuise alors que s’appliquer à faire chaque jour de notre mieux, en consentant que notre mieux ne soit certains jours pas terribles, nous dynamise. De cette manière, nous pourrons pleinement être à l’écoute de ces enfants qui vivent des situations extrêmes, ce qui entraîne une réflexion sur le sens même de la vie : ils nous apprennent à avoir un regard plus juste sur nous-mêmes et sur notre propre vie et nous invitent sans cesse à revenir à l’essentiel, à nous émerveiller de ce qu’il y a de beau dans l’instant présent. 

Muriel Derome est psychologue en réanimation et neuropédiatrie à l’hôpital Raymond Poincaré de Garches, et expert judiciaire près la cour d’appel de Versailles

Lorraine Picard-Dumont et Aygline Dubois sont étudiantes en psychologie.