ASPECTS SOCIO-FAMILIAUX ET PSYCHOLOGIQUES DES ENFANTS PRÉSENTANT DES PROBLÈMES ORTHOPÉDIQUES LOURDS

ASPECTS SOCIO-FAMILIAUX ET PSYCHOLOGIQUES
DES ENFANTS PRÉSENTANT DES PROBLÈMES ORTHOPÉDIQUES LOURDS
Je vous remercie de m’avoir conviée à cette journée
médicale. Cette invitation montre bien comment l’ensemble du corps médical a le
souci de prendre en charge l’enfant dans sa globalité. Dans le Service de
Réanimation de l’Hôpital de Garches, nous voyons des troubles orthopédiques
gravissimes qui nécessitent des soins et des interventions longues et
douloureuses. Pour comprendre comment, dans ce contexte, élaborer un projet de
vie, j’ai choisi de suivre le processus du temps, depuis l’annonce de la pathologie
jusqu’à la construction du projet de soins, des différents temps de
l’hospitalisation et le retour à
domicile. Pour illustrer mon propos, je vais parler de deux
enfants :
Henri, est né avec une malformation congénitale – trois
côtes en moins -, il a actuellement trois ans. Cette malformation entraîne des
problèmes de colonne vertébrale, avec des conséquences sur le plan cardiaque et
pulmonaire.
Emma, est née avec un syndrome poly malformatif inexpliqué
jusqu’à maintenant, qui entraîne des anomalies ORL – notamment une surdité – et
des anomalies osseuses évolutives. Elle est née avec une sœur jumelle atteinte
de la même pathologie. A la naissance, on annonce aux parents que leurs filles
« seront comme deux petites plantes » et auront de gros handicaps.
L’annonce de la pathologie est un moment qui reste gravé
dans la mémoire des parents. Il est important de ne pas laisser la mère seule
car cela renforce vraiment beaucoup son sentiment de culpabilité. Il faut
reconnaître au plus vite le problème, même si on ne sait pas identifier la
pathologie. Il faut mettre des mots sur le fait qu’il y a un problème et mettre
en place un soutien psychologique pour aider à un échange au sein du couple.
Car mari et femme ont souvent des façons très différentes d’aborder la
situation et il faut parfois les aider à communiquer.
Il s’agit finalement de construire un projet de soin. Pour
qu’un projet de soin se construise, un grand temps d’écoute est nécessaire. Il
s’agit de repérer où sont les forces, et les faiblesses au niveau du couple
bien sûr, mais aussi au niveau de la famille, de l’entourage. Les finances, la
religion, la culture, la capacité d’élaboration, la capacité de résilience,
etc, sont à prendre en compte. Prendre le temps de s’interroger sur les
conséquences à moyen et long terme permet de distinguer ce qu’il est
souhaitable d’entreprendre de ce qui est réalisable ; pas uniquement pour
l’enfant en question, mais pour l’ensemble de la fratrie et pour le couple.
C’est un temps très important pour essayer de réfléchir au bénéfice que cela
entraîne. Une fois la décision prise, il s’agit d’expliquer ce qui pourra être
tenté, les contraintes et toute l’évolution du programme. J’entends beaucoup de
familles dire que le chirurgien a changé d’avis et il est important qu’elles
comprennent qu’il est normal que de nouveaux éléments interviennent. Après
avoir expliqué le « programme orthopédique », il faut laisser un espace de liberté
aux familles en prenant en compte ce qui est le plus simple
pour elles : elles peuvent ainsi choisir d’hospitaliser l’enfant avant ou après
les vacances ; pour certains parents, il peut être important de respecter le
temps du ramadan ou de repousser l’hospitalisation à la fin de cette période ;
ou encore de reporter l’intervention après tel ou tel événement familial. Ce
respect permettra d’avoir des familles beaucoup plus partantes dans la prise en
charge.
« L’enfant est une personne à part entière », cette citation
de Françoise Dolto a été largement diffusée par les média mais, malheureusement
la fin de sa phrase, toute aussi importante, a été complètement tronqué : «
L’enfant est une personne à part entière, mais c’est un être en construction
qui a besoin pour se construire de l’autorité des adultes, de limites et de
repères ». L’enfant n’a pas à être considéré comme un adulte. Il ne doit pas
avoir le pouvoir décisionnel. Cela le déstabilise, entraîne une inversion des
rapports parents/enfants et des séquelles psychologiques énormes. Par contre,
il a besoin de comprendre, d’entendre
les choses de façon claire et adaptée à son niveau de
développement et de compréhension. On peut, pour faciliter la prise en charge,
utiliser un support : les enfants vont beaucoup plus comprendre le traitement
s’il est expliqué à l’aide d’un nounours ou d’une poupée.
L’enfant va percevoir sa maladie, son handicap très
différemment selon son niveau de développement et son histoire. Certains vont
s’imaginer que tout est très chaotique : tout est angoisse et inquiétude. Pour
d’autres, c’est un peu plus magique : ils pensent qu’ils ont été manipulés par
des puissances extérieures qui ont décidé qu’ils devaient être malades. Pour
d’autres encore, c’est un accident. La maladie est un traumatisme et beaucoup
pensent qu’elle est une punition parce qu’ils ont pensé telle ou telle chose de
leur père ou de leur mère ou de leurs frères et sœurs. Notre rôle est de bien
expliquer à l’enfant qu’il n’est pas responsable de ce qui lui est arrivé. Pour
d’autres, c’est associé à une transmission familiale et le prix à payer pour
faire partie de la famille. On le voit particulièrement dans les maladies
génétiques.
Voyons maintenant les différents temps de l’hospitalisation.  
D’abord l’arrivée dans le service qui est un temps de choc
visuel assez traumatisant qui entraîne une prise de conscience de la maladie,
de la douleur, du handicap. Comme le dit la mère d’Henri « Tant que vous n’êtes
pas à l’hôpital, maladie et handicap sont abstraits. Dès qu’on arrive dans le
service, tout est beaucoup plus concret. ». Il faut donc s’apprivoiser les uns
les autres et expliquer les règles mises en place. La mère d’Henri arrive avec
en tête la phrase du chirurgien « Il ne survivra peut-être pas à
l’intervention. Et, comme on est
obligé de la faire… ». Elle arrive avec l’idée que ce sont
peut-être les derniers jours de vie avec son enfant.
L’angoisse de mort est donc très présente. Il y a en même
temps les contraintes du service, avec les horaires de visite entre treize et
vingt heures. Il va falloir accepter cela. Et cette distance qui va se mettre
en place va faire que les parents vont prendre conscience du lien qu’ils ont
établi avec leur enfant. Parfois, certains réalisent qu’il est du type
tyran/esclave. La mère est complètement réduite en esclavage. Un enfant peut
être tyrannique vis-à-vis de ses parents. Cette prise de conscience peut être
d’autant plus douloureuse que les soignants ne se
gênent pas pour faire des réflexions du type : « Quand vous
n’êtes pas là, avec nous, il ne pleure jamais, il est tout sourire ». Cela se
veut rassurant, mais les choses ne sont pas si simples.
Il y a aussi la peur de perdre le sentiment d’être
irremplaçable. Pour la mère – c’est elle le plus souvent, mais cela peut bien
sûr être aussi le père – ce sentiment est très douloureux. En parallèle,
puisqu’ils ont du temps, les parents vont se mettre à en prendre pour eux, ce
qui ne leur est parfois jamais arrivé. Par exemple, la mère d’Emma s’est
occupée de sa fille vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sans aucun loisir.
Elle s’est donnée à 100 % et tout à coup, avec l’hospitalisation, elle a un peu
de temps pour souffler. Ensuite, il y a toute une peur
de ne pas réussir à réassumer son rôle. Une mère me disait «
Pendant quinze ans, j’ai porté mon fils. Il est hospitalisé depuis un mois et
demi et je n’ai plus de muscles. Je ne peux plus le porter ». Pour ce qui
concerne le lien aux parents, ils ont tous une appréhension d’être dépossédés
de leur enfant, de par la technicité, le nombre d’intervenants, les horaires.
Il s’agit donc de garder ou de mettre en place la bonne distance. Il ne faut pas
s’approprier l’enfant. Par exemple, les soignants ne se souviennent souvent
plus du prénom de l’enfant et l’appellent « Chéri ». C’est le petit mot d’amour
et il est très difficile pour la mère d’entendre cela, et l’enfant ne comprend
pas qu’une personne qu’il ne connaît pas utilise le même mot que ses parents.
Il ne faut donc pas usurper le vocabulaire affectueux parental.
Mais n’ayons pas peur de créer un lien avec l’enfant et sa
famille. Certaines familles, certains enfants, nous touchent plus que d’autres.
C’est la grandeur de notre humanité que de ne pas fuir cette humanité-là, mais
au contraire de l’accueillir comme elle vient !
Et attention à la fratrie restée à la maison. Deux enfants
de cinq et trois ans dans le cas d’Henri. De douze ans et demi et sept ans dans
le cas d’Emma. Il y a un sentiment d’abandon de la part de la fratrie, une
culpabilité, une non estime de soi qui va parfois perdurer jusqu’à l’âge
adulte. Il faut donc être très attentif. Un frère resté à la maison me disait «
Je rêve d’avoir un accident, comme cela je serai hospitalisé et mes parents
viendront me voir » !
Venons-en maintenant à ce qu’on peut appeler le chantier orthopédique. Les parents auront pris connaissance du
programme, signé la décharge, ils verront si les choses se déroulent comme
prévues, s’il y a des changements, comment les choses ont évolué. Aider les
enfants à mettre des mots sur les agressions subies limite au maximum les
troubles anxieux. D’où l’intérêt de la prise en charge psychologique parce que
les enfants ont souvent un sentiment de dépossession corporelle. « J’ai
l’impression qu’on m’a volé mon dos ». Et
toutes les angoisses : Un enfant qui dit, quand on lui fait
une trachéotomie, « Personne ne se marie avec quelqu’un qui a un trou en trop
».
La douleur est comme une cicatrice intérieure, consciente ou
inconsciente. Je vous invite donc à vous asseoir pour écouter la douleur. Cela
n’a l’air de rien, mais quand le médecin s’assoit, cela a un côté très
apaisant. Les douleurs s’expriment aussi bien par  J’ai mal » que par « Je suis mal ». Même s’il
peut nous arriver d’avoir envie de fuir, ces deux aspects-là ont besoin d’être
entendus. Henri est très mignon, très rayonnant, et sa mère
dit « Parce qu’il est mignon, on n’entend pas quand il dit
qu’il a mal à la tête. Mais, quand il hurle, on lui dit d’arrêter de faire de
la comédie » ! Il n’est pas toujours simple de ne pas être influencé par le
côté « mignon » de l’enfant et être à l’écoute d’un tout petit est souvent bien
difficile sans l’aide des parents. Pourtant même s’il est petit, quand un enfant
dit qu’il a mal, c’est qu’il y a quelque chose qui va mal. Mais, comme
l’adulte, l’enfant
préfère souvent dire « j’ai mal… plutôt que je suis mal ».
Les agressions contre l’image du corps. Certains traitements
orthopédiques vont entraîner beaucoup de problèmes autour de l’image du corps.
Problème de confiance en soi, confiance dans son corps, perte de la confiance
dans les autres, perte du désir de découvrir le monde.
Venons-en maintenant à l’opération chirurgicale. Le moment
de l’information éclairée du patient demande beaucoup de délicatesse. Il ne
s’agit pas de se dédouaner mais de peser ses mots, de faire attention au ton employé.
Dans le cas d’Emma, la situation était particulièrement dramatique : soit elle
n’était pas opérée et elle devenait tétraplégique ; soit elle était opérée et
il y avait aussi un risque qu’elle devienne tétraplégique, avec en
plus un risque vital. Il n’est pas toujours facile d’évoquer
les risques encourus tout en restant rassurant. Cela peut passer par une phrase
du type : « Nous avons discuté en équipe et malgré tous les risques nous
pensons que cette opération vaut vraiment le coup ».
Pour lutter contre l’angoisse de mort, les familles
idéalisent les acteurs de la dernière chance. Après l’intervention, les parents
sont très très surpris. Ils n’ont pas été préparés à l’impuissance dans
laquelle ils vont se retrouver. La mère d’Henri m’a dit « Je savais qu’il
serait intubé, mais jamais je n’aurais imaginé qu’il serait conscient à ce
moment-là ! ». Les parents ont besoin d’être préparé au sentiment d’impuissance
totale qu’ils vont rencontrer : c’est tellement violent de voir son enfant
souffrir.
Pour ce qui est de la poursuite du traitement sur le plan
médical, orthopédique ou psychologique. Après toute l’angoisse de
l’intervention, démarre une période de dépression post traumatique (nous
l’observons de façon presque systématique après les interventions de type
arthrodèses). Cette dépression est habituelle et plus les attentes des parents
étaient fortes plus la déception sera grande. L’intérêt est qu’elle permet une
certaine maturation. Mais attention, elle ne doit pas s’étendre trop dans le
temps. Il faut rester attentif aux parents pour
qu’ils restent présents tout au long du traitement :
certains sont présents mais complètement épuisés, physiquement et
psychiquement. Ils ne peuvent donc pas être présents émotionnellement.
Finalement, pour lutter contre la dépression les parents vont mettre en place
un certain nombre de mécanismes de défense.
Certains vont devenir des « hypersoignants », d’autres au
contraire vont démissionner, certains vont avoir des exigences démesurées
envers leur enfant, à qui ils vont parfois demander de devenir « le malade
parfait », d’autres malheureusement vont tomber dans la maltraitance. Seul, un
travail de deuil permet l’acceptation
progressive de la réalité.  
Quelques jours avant la sortie, nous nous apercevons que,
comme les médecins passent de moins en moins souvent voir l’enfant, la
démédicalisation entraîne un sentiment d’abandon puis d’angoisse et enfin de l’agressivité.
Souvent les derniers jours avant la sortie sont difficiles. Il est alors
important de prendre le temps de rencontrer les deux parents. J’insiste sur ce
point. En effet, comme le dit la mère d’Henri, « C’est difficile
d’être toujours celle qui fait l’intermédiaire entre les
médecins et son mari qui s’arrange pour entendre ce qu’il a envie d’entendre !
». Ses hospitalisations ont duré près d’un an. Dans le cas d’Henri comme dans
le cas d’Emma, la façon dont la famille s’est réorganisée, remettait en cause
tout le système familial. Cette rencontre avec les deux parents, juste avant la
sortie, permettra de mettre des mots sur ce qui a réussi, sur les difficultés à
venir et sur ce qui reste à poursuivre. Les parents ont besoin d’entendre le
bilan des choses qui a été positif.
C’est essentiel sur le plan psychologique.
Enfin pour pouvoir mener à bien une prise en charge, il est
nécessaire de préparer des relais, de travailler en équipe
et de communiquer le plus possible : les parents n’ont pas à être utilisés
comme des fiches-navettes.
A l’Hôpital de Garches, pour préparer la sortie, nous
proposons aussi aux parents – père et mère – de venir passer une nuit à
l’hôpital avant de rentrer chez eux : cela permet d’apprendre à être vraiment
confrontés aux difficultés, et de repérer comment chacun fonctionne et comment
travailler en relais entre eux pour que chacun trouve sa place. C’est très
important, notamment, dans tout ce qui est prise en charge de la trachéotomie.
Le retour au domicile est toujours un moment très difficile
parce qu’il y a d’autres problèmes : la réinsertion qui est problématique sur
le plan matériel, financier, scolaire et social. La solitude de ces mères qui
arrêtent leur travail pour s’occuper de leur enfant est très importante. Peu de
pères le font, et de ce fait, mésestiment souvent ce que vit leur femme.
Avant de conclure, retenons surtout qu’avant de se décider
de se lancer dans un « chantier orthopédique » il est très important d’évaluer
les ressources familiales, sociales, spirituelles, financières et psychologiques…
Rappelez-vous que ça n’est pas parce que c’est faisable que c’est obligatoirement
souhaitable.
Autre point très important : pour tenir le coup les parents
ont besoin d’être valorisés, particulièrement la personne qui s’occupe le plus
de l’enfant. Ce qui compte, c’est que les familles et l’enfant soient toujours
acteurs de la décision et du projet médical. Il faut une prise en charge pluridisciplinaire avec un médecin
référent pour limiter au maximum les conséquences psychologiques. La prise en
charge psychologique est importante et la relation soignant/médecin/famille est
essentielle – surtout en cas d’imprévu.
QUESTION : Votre exposé a été vraiment impressionnant et je
pense que ces familles ont eu la chance d’avoir un psychologue à leur
disposition. Lorsque nous voyons des patients moins
sévèrement atteints, pris en charge en ville et à l’hôpital,
les parents refusent souvent le recours au psychologue parce qu’ils sont dans
l’action et c’est aux soignants qu’ils s’adressent. Les soignants aimeraient
bien avoir un psychologue pour les soutenir à ce moment-là !

RÉPONSE : Mon rôle à l’hôpital est de soutenir les familles.
Quand on a pu mettre en place un suivi psychologique au sein de l’hôpital,
beaucoup se disent que ça n’est pas si terrible que ça d’entrer dans le bureau
d’un psychologue ! Ils ont donc fait tout un travail et acceptent plus
facilement ensuite de voir quelqu’un à la sortie. Et cela est vrai aussi pour
les soignants, je suis à leur disposition lorsqu’ils sont en difficulté avec une
famille et cela leur permet de consulter plus rapidement si besoin est.

Conférence donné le 11 septembre 2008 lors des journées sur  
LES ANOMALIES ORTHOPÉDIQUES 
DU NOUVEAU-NÉ, DU NOURRISSON 
ET DU GRAND ENFANT
Comité National de l’Enfance 
3 boulevard Lefebvre 75015 Paris