DOULEUR, SOUFFRANCE ET BESOINS PSYCHOLOGIQUES DES JEUNES ATTEINTS DE PARALYSIE CÉRÉBRALE (PC)

PAIN, SUFFERING 

AND PSYCHOLOGICAL NEEDS 

OF YOUNG PEOPLE WITH CEREBRAL PALSY (CP)

PAIN, SUFFERING 

AND PSYCHOLOGICAL NEEDS 

OF YOUNG PEOPLE WITH CEREBRAL PALSY 

Muriel Derome*

Psychologue Expert 

près la cour d’appel de Versailles

Service de réanimation et neurologie pédiatrique

Hôpital Raymond Poincaré -Garches

*Avec la participation de Laure Paterni, psychologue clinicienne.       

Introduction 4

I. L’impact du corps douloureux 4

1. Alors que la douleur s’inscrit dans la réalité, la souffrance est toujours relative.  5

II. La souffrance des jeunes atteints de paralysie cérébrale 7

1. Souffrance en lien avec le regard que les autres posent sur eux 7

2. Souffrance en lien avec le regard que le jeune atteint de paralysie cérébrale pose sur lui-même 9

III. Les besoins psychologiques des jeunes atteints de paralysie cérébrale ( PC) 9

1. Besoin sécurité 9

2. Besoin affectif 10

3. Besoin d’établir une juste distance par rapport à la souffrance : Dépasser les inlassables « pourquoi » afin de se demander « comment vivre avec ? » 12

4. Besoin de confiance pour développer leur autonomie et se sentir compétent et utile. 13

5. Besoin d’apprendre à consentir à ce qu’ils sont et à vivre dans le présent. 14

   6. Besoin spirituel : Répondons à leur quête de sens 16

Conclusion : Ce que ces jeunes atteints de PC nous apprennent 17

Résumé

Le texte examine les défis rencontrés par les jeunes atteints de paralysie cérébrale (PC). Il revient en particulier sur leur souffrance et ses différents aspects (souffrance vis à vis des douleurs, souffrance vis à vis des regards des autres, souffrance vis à vis de leur regard sur eux-mêmes). L’article souligne l’importance de la communication avec ces jeunes pour aborder ces différents points, encourageant les professionnels de la santé à les écouter attentivement et à les aider à exprimer leurs émotions, même de manière non verbale. Des méthodes comme l’hypnose ou la relaxation pour les aider à surmonter leur douleur sont également vivement conseillées. Ce travail propose également de penser plus globalement les besoins associés à ces souffrances. Le texte met ainsi en lumière les besoins psychologiques des jeunes atteints de PC, tels que le besoin de sécurité, de cadre, d’affection, d’être entendus, de construction d’identité et de regard positif. Il souligne l’importance d’une approche empathique et holistique pour répondre à ces besoins et favoriser leur bien-être. 

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The text deals with the challenges faced by young people with cerebral palsy (CP). We underline their sufferings and their related aspects (suffering regarding pain, suffering regarding the look of the others, suffering regarding the view of themselves). The article highlights the importance of communicating with these young people, encouraging health professionals to listen carefully to them and to help them express their emotions, even non-verbally. Methods such as hypnosis or relaxation are also strongly recommended to help them overcome the pain. This work also analyzes more globally the needs associated with these sufferings. The text highlights the psychological needs of young people with CP, such as the need for security, surroundings, affection, the need to be heard, the need to build their identity and to get positive feedback. It highlights the importance of an empathetic and holistic approach to meet these needs and to promote their well-being.

Introduction

Démarche chancelante, paralysie, déformations physiques, trouble de l’élocution, troubles du sommeil ou du comportement, incontinence, difficultés de déglutition, déficience intellectuelle… Chez les jeunes atteints de paralysie cérébrale (atteints de PC), les atteintes sont multiples et de formes différentes, mais la plupart se disent douloureux. La douleur se réfère ici au corps, aux sensations désagréables voire intolérables ressenties dans tout ou partie du corps. La souffrance quant à elle sera comprise comme douleur aussi bien physique que morale, c’est-à-dire sur le plan corporel comme psychique. Elle correspond à l’impact de la douleur sur l’humain : la place prise dans notre tête, dans notre vie, ce que l’esprit fait de la douleur… Notons que ces deux dimensions sont intimement mêlées. Alors qu’une douleur aiguë peut permettre de poser un diagnostic, être le signe d’une infection…, la douleur chronique est inutile – mais existe néanmoins, et doit être prise en compte, y compris chez les personnes atteintes de PC.  

Dans cet article, nous utiliserons notre pratique de psychologue de plus de 20 ans en service de réanimation et neurologie pédiatrique pour, dans un premier temps, détailler  l’impact du corps douloureux puis de la souffrance sur le jeune atteint de PC. Qu’est-ce qui fait qu’une douleur devient une souffrance ? Puis nous détaillerons certains de leurs besoins psychologiques. Nous conclurons avec quelques éléments de la gratitude que nous avons pour ces jeunes patients, qui par leur façon de vivre leurs souffrances et par leur façon de consentir à faire avec l’inéluctable, impactent positivement notre propre vie.

I. L’impact du corps douloureux

Lors d’une hospitalisation, le jeune atteint de PC se trouve confronté à de multiples agressions : médicaments, soins, odeurs, sommeil difficile… Si le passage en réanimation est nécessaire, s’ajoutent à ça le bruit permanent des alarmes. Et en cas d’infection grave, le jeune devra faire avec la douleur et le traumatisme de l’intubation , associés parfois à des hallucinations dues aux médicaments. L’ensemble peut faire naître chez le jeune atteint de PC un syndrome de stress post-réanimation. Qui lui-même entraîne de nouvelles souffrances : sensation de Je maltraitance, panique, dépression réactionnelle, et parfois même angoisse d’abandon ou de mort.

  1. Alors que la douleur s’inscrit dans la réalité, la souffrance est toujours relative.  


Comment aborder la douleur chez la personne atteinte de PC ? La première étape consiste à établir une communication avec la personne concernée.  Il est fréquent que les parents répondent à la place de leur enfant aux questions des soignants. Pourtant, dès que nous nous mettons à l’écoute du jeune atteints de PC, malgré son élocution lente et difficile, le lien patient/soignant comme celui parent/enfant se modifie : l’enfant prend conscience qu’on s’intéresse à ce qui lui arrive, et les parents sont touchés de voir les soignants prendre du temps pour leur enfant. Quand le patient ne peut communiquer que de façon non-verbale, c’est aux soignants ou aux proches de proposer de mettre en mot ce qu’ils perçoivent à travers ces maux : “J’ai la sensation que tu es très en colère aujourd’hui. Une émotion n’est ni bonne ni mauvaise. Si tu observes bien, tous les jours nous sommes pris par la valse de nos émotions. Elles sont là pour nous indiquer quelque chose. Nous ne sommes pas responsables des émotions qui nous traversent. Ce n’est pas méchant d’être en colère. Par contre, ça devient un problème si nous nous mettons à tout casser, mordre ou frapper quelqu’un ! Pourrais-tu me dire (avec tes yeux) si tu es d’accord avec ce que je viens de te dire ?…” Plus on aidera, le jeune atteints de PC à mettre en mots ses maux en lui prêtant notre “appareil à penser nos pensées” et en l’aidant à repérer ses émotions, plus la souffrance pourra être canalisée. Parfois le patient ne dira rien de sa douleur. Il dira qu’il va bien dans le but de préserver son entourage, famille comme soignants. Il prend sur lui pour ne pas les décourager, pour plaire à son docteur, pour être perçu comme un patient auprès duquel on aime revenir, pour que ses parents soient fiers de lui ou ne souffrent pas avec lui… ou par peur d’être abandonné s’il n’est pas assez gentil ou satisfaisant. 

Ce silence peut également se retrouver en cas de douleur extrême. Dans ce cas, c’est parce qu’il est en état de stress aiguë que le jeune atteints de PC se trouve incapable de dire quoi que ce soit. Il est tellement sidéré qu’il ne peut répondre aux questions. C’est le fait d’être complètement déconnecté de son corps, c’est à dire dissocié, qui l’empêche d’exprimer ce qu’il ressent. Il sera alors nécessaire de mettre en mots sa douleur mais aussi sa souffrance, pour lui permettre de retrouver ses repères et qu’il puisse ensuite donner lui-même les précisions dont les médecins ont besoin pour le soigner.

La deuxième étape consiste à identifier le type de douleur physique ou psychique, puis sa cause. Pour éviter que la douleur physique ne soit utilisée par la personne atteinte de PC pour parler d’une souffrance psychique, ne pourrait-on pas envisager d’interroger autrement les patients ? Pour distinguer les plaintes psychiques de celles qui sont physiques, au lieu du traditionnel « tu as mal où ? », pourquoi ne pas demander plutôt  « comment tu te sens aujourd’hui ? ». Ainsi le patient peut choisir de répondre sur le plan somatique « j’ai mal à… » ou sur le plan psychique : « je suis mal parce que je me sens angoissé… »

La troisième étape consiste à prendre en charge la douleur. Le médecin cherche à combattre la douleur, le psychologue à la comprendre. 

Bien que très difficiles à vivre, la douleur et la souffrance sont donc des signes, des repères essentiels à la bonne santé physique comme psychique. Ainsi le jeune atteint de PC apprend à éviter certaines situations destructrices pour que la souffrance ne décide pas de toute sa vie. Un petit garçon de 6 ans explique : “Avant je pensais que c’était papa le chef. Après, je me suis rendu compte qu’en fait c’était maman, parce qu’elle décide de beaucoup plus de choses. En arrivant à l’hôpital, j’ai pensé que c’était les docteurs les chefs, mais en fait, c’est la douleur qui décide de tout donc est-ce que ça veut dire que c’est la cheffe de tout le monde ?” 

Si un jeune souffre trop,  il peut avoir la sensation de perdre tout contrôle et de ne plus savoir qui il est. Cela risque d’impacter son identité et l’amener à devenir aussi insupportable et aussi incontrôlable pour son entourage que sa douleur l’est pour lui. Face aux douleurs physiques intolérables, par exemple suite à une infection, un traitement médicamenteux s’impose. Quant à la souffrance psychique résultante, elle doit également être prise en charge. Les maux non mis en mots, non écoutés peuvent rendre la personne souffrante inaccessible, coupée de toute vie.

Quand quelqu’un est déprimé, le travail psychothérapeutique consiste notamment à l’aider à réintégrer son corps, en reprenant contact avec le réel et ses sensations. Dans le cas de douleurs physiques très intenses, le mouvement sera inversé. Le patient a besoin d‘apprendre à « sortir de son corps », c’est-à-dire à mettre son esprit ailleurs pour survivre à l’effraction physique et psychique entraînée par la douleur. Comme pour une victime face à son agresseur, la dissociation permet la survie, mais pour que cette dissociation ne soit pas destructrice, et qu’elle soit un mécanisme de défense efficace, le patient a besoin de sens, qu’on lui explique ce qui se passe. La mise en sens de ce qu’il subit lui permet de mieux supporter les soins. Expliquer au patient qu’on lui fait divers examens pour comprendre ce qui lui arrive, l’aide à moins souffrir,  à conserver le lien de confiance patient /soignant, et donc à préserver l’alliance thérapeutique. Il est aussi important de lui donner des repères, de reconnaître et mettre en mots ses émotions, particulièrement s’il est non-communiquant. Nous pouvons par exemple lui dire : “j’ai l’impression que tu as particulièrement peur en ce moment ? C’est bien ça ?  Ça doit être si difficile pour toi de vivre avec cette douleur…Tu te demandes sûrement combien de temps ça va durer. Ne laisse pas ton esprit te faire croire que tu auras toujours aussi mal. Nous pensons que nous allons bientôt trouver ce qui ne va pas mais c’est vrai que nous ne pouvons pas te dire exactement dans combien de temps”.

Différentes méthodes peuvent aider les jeunes atteints de PC à “sortir de leur corps” douloureux pour surmonter leur souffrance. Sophrologie, visualisation positive, autohypnose ou travail sur la respiration sont efficaces. Charlène, 21 ans, atteinte de PC, est épuisée par des membres en perpétuels mouvements. Une infection l’oblige à être hospitalisée en réanimation. Elle est alors confrontée à des douleurs difficiles à gérer. Un temps de relaxation lui est proposé ainsi qu’à son père. Lors de cette expérience, tous deux ont pu se détendre, le père raconte : “c’est la première fois que je vois ma fille éveillée ne pas bouger, être toute paisible. En 21 ans, je ne l’avais jamais vue comme ça ! C’est tellement incroyable !
Après avoir vécu un moment très douloureux, qui a pu entraîner une expérience de dissociation, il est important que le patient réintègre sa vie. Il a besoin qu’on mette en mots ce qu’il a vécu lors de son hospitalisation afin de souligner ses forces de vie. Moins le patient contrôle son corps, plus il peut être important de l’aider à s’approprier ses souvenirs, son histoire, son vécu corporel, psychique, spirituel, affectif et émotionnel…

Si aucune cause physique n’a été identifiée, nous pouvons expliquer au patient ce qu’est une douleur psychosomatique :  “Ta douleur est bien réelle. Tu ne fais pas semblant d’avoir mal mais l’origine de ta douleur ne se situe pas dans ton corps. Ton corps te fait une blague car ton esprit veut te faire passer un message ! Il te fait ainsi croire que tu as très mal au ventre – et tu as réellement mal – mais en réalité c’est une peur ou une angoisse qui te met dans cet état. On va mener l’enquête pour comprendre ce qui peut te mettre dans cet état. Par exemple, est-ce que ça t’inquiète que ta maman parte en week-end ?…”

Face à l’insupportable impuissance dans laquelle plongent la souffrance et la douleur d’un jeune atteints de PC, face au stress récurrent qu’entraîne sa prise en charge, qui que nous soyons, proches ou soignants si nous ne sommes faisons pas assez attention à nous, si nous sommes fatigués, stressés, nous perdons notre capacité à comprendre, à patienter etc. Notre cerveau primaire prend le contrôle et nous réagissons autour de trois axes : l’attaque, le repli sur soi ou la fuite. Nous risquons alors d’exploser contre nos proches ou nous-même, ou encaissons sans percevoir combien cela peut nous ronger de l’intérieur, ou nous donne envie de fuir. Pour éviter que le jeune atteints de PC ne se sente abandonné alors qu’il est dans un moment où il a vraiment besoin d’une présence, il est préférable de se retirer un moment en mettant en mots ce qui arrive : “Excuse-moi, tu sais c’est vraiment difficile pour moi de te voir souffrir autant et de me sentir aussi inutile (ou de te voir me traiter aussi mal alors que je fais tout pour t’aider etc.) Je vais chercher un verre d’eau, je me calme et je reviens”. 

II. La souffrance des jeunes atteints de paralysie cérébrale 

  1. Souffrance en lien avec le regard que les autres posent sur eux 

En grandissant, le handicap du jeune atteint de PC devient plus visible, et cela peut être destructeur. Au détour d’une rue, dans un grand magasin ou un lieu public, le jeune atteint de PC est confronté aux passants qui le dévisagent. Le regard des autres est très dur à supporter, la personne atteinte de PC peut y lire qu’elle est gênante, repoussante, ce qui peut entraîner honte et dégoût de soi – source de multiples souffrances supplémentaires. Le jeune atteint de PC se sent alors différent, exclu car ne correspondant pas aux critères de beauté imposés par la société.  

Je me souviens ainsi de ma première rencontre avec Camille alors que j’étais toute jeune psychologue à l’hôpital. Sa maigreur extrême et les déformations de son corps m’ont donné, en entrant dans sa chambre, la sensation de découvrir une rescapée des camps de concentration. Dans un premier temps, je suis incapable de soutenir son regard. La laideur de son corps (selon les critères de beauté de notre société) me semble insupportable. Je ne sais pas comment me comporter, ni comment lui adresser la parole… Ma gêne est accrue par sa tenue vestimentaire : elle porte une nuisette à fines bretelles qui découvre ses épaules rachitiques. « Si j’étais dans cet état-là, je me cacherais sous les draps ! » me dis-je. (Je mettrai plusieurs années à comprendre que le “si c’était moi” n’a aucun intérêt, que ce qui compte c’est de se demander : “que vit la personne ? Quels sont ses besoins ?” ) Je tente de réprimer ma répulsion. Je me sens honteuse de ce sentiment. Ne suis-je pas là pour l’accompagner ? Comment lui révéler sa beauté intérieure, ses forces, ce qu’elle a d’unique et de profondément merveilleux si je n’ose pas la regarder ? En fait, c’est Camille qui, percevant mon malaise, le désamorce : « Tu verras, tu vas t’habituer. Ça fait peur au début, mais tu vas t’y faire. Au fait, je m’appelle Camille. Et toi ?” Au fil des jours, la première image de Camille, ce corps repoussant à peine couvert d’une nuisette, est devenue une abstraction complètement déconnectée de la réalité, qui est tout autre : cette fille rayonne ! Tout le monde dans le service partage ce sentiment. Dans le service, nous observons que bien des patients, nous apprennent à ne pas laisser aux autres le pouvoir d’évaluer notre beauté, notre intelligence, nos capacités… 

Par contre à l’adolescence, rencontrer une personne atteinte de PC peut être particulièrement dur pour qui n’est pas habitué au handicap – et plus encore pour les adolescents en plein bouleversement. Par gêne ou peur des angoisses que cela fait naître en eux, deux attitudes peuvent exister : faire abstraction du jeune atteints de PC pour éviter d’être ramenés à leur propre part de laideur et d’inutilité, effrayante et insupportable, ou alors rejeter violemment cet autre différent qui ravive leur angoisse. La réaction peut alors être cruelle : “ça ne devrait pas exister des trucs comme ça !”, “retourne dans le ventre de ta mère qu’on puisse t’avorter !”, “moi à ta place, je préférerais mourir que d’imposer ça à mes proches !”...

Notre société valorise le « faire » et « l’avoir » plus que « l’être ». Dès lors, les personnes atteints de PC peuvent déranger : la fragilité de certains ne leur permet ni de « faire », ni « d’avoir », mais juste « d’être », et d’une façon atypique, incompréhensible au premier regard. Un sentiment d’inutilité grandit. L’enfant atteint de PC progresse doucement dans ses possibilités d’action, puis certains stagnent à l’adolescence et peuvent même régresser à l’âge adulte. Consentir à son niveau de dépendance est long et difficile, particulièrement dans notre société de la rapidité et de l’utilité, et plus encore lorsque le besoin d’aide ou de dépendance augmente. 

Avant d’ arriver à renoncer, à consentir à ses limites, le jeune atteint de PC est obligé de faire le deuil de ce qu’il aurait pu être sans la PC.  Il lui faut reconnaître ce qu’il n’a pas ou plus (la réalité), exprimer et vivre les émotions qui se rapportent à cette perte et nourrir son être pour développer un nouveau lien à lui-même et un nouveau rapport au monde et aux autres.

Sarah, 14 ans, a cheminé. Elle me raconte qu’à cause de son corps déformé, son visage déformé, il lui arrive d’être regardée comme un monstre : “ C’est logique ! Mais c’est leur problème. Moi, je sais que je ne suis pas un monstre. Je suis un humain comme les autres.” Elle m’explique qu’avant elle en souffrait mais que maintenant : “S’ils me regardent comme ça, ce sont eux qui ont un problème, pas moi ! C’est vrai que me regarder comme ils le font c’est assez monstrueux, non ?…Mais moi, je n’entre pas dans leur jeu…”  

Le jeune ayant une PC peut être atteint dans ses capacités intellectuelles. Cela permet-il d’atténuer certaines indélicatesses, ne pas saisir toutes les violences subies ? Rien n’est moins sûr. Le patient pourrait ainsi être sensible aux intonations de voix, au langage corporel, et donc ressentir toutes les vexations infligées par autrui. D’autres personnes atteintes de PC, à cause de leurs mouvements incontrôlés ou de leur démarche titubante, sont traitées comme ayant un retard mental. Elles sont là mais leur interlocuteur ne s’adresse pas à elles, les infantilise ou leur parle très lentement comme si elles ne comprenait pas. Ainsi Zoé raconte : “ Il parlait de moi comme si j’étais pas là et je n’ai même pas pu répondre car il ne m’écoutait pas et ne me laissait pas m’exprimer. J’avais l’impression d’être un objet dérangeant, retardé mental alors que j’en savais bien plus que lui sur le sujet.”

2. Souffrance en lien avec le regard que le jeune atteint de paralysie cérébrale pose sur lui-même 

Cette confrontation régulière à la souffrance peut modifier progressivement le regard que le jeune pose sur lui-même. Beaucoup perdent confiance en eux. Si le jeune atteint de PC ne parvient pas à cheminer vers une acception de lui-même, il vit dans une tension intérieure permanente. A l’inverse, plus il parvient à consentir à la réalité de sa vie, aux douleurs qu’il doit affronter, plus il estime que ses souffrances sont tolérables.

Le manque de confiance en eux mène souvent ces jeunes à se dévaloriser : « je ne vais pas y arriver », « je suis trop handicapé pour apprendre de nouvelles choses ». Cela peut venir d’une confrontation trop fréquente à des situations insolubles, et cette succession d’événements douloureux incontrôlables peut alors entraîner un sentiment d’impuissance acquise menant à la résignation. A l’inverse, certains, sans contact avec la vie réelle, s’imaginent qu’ils vont réaliser des prouesses irréalistes ! Ainsi ce jeune au fort trouble de l’élocution qui se voyait devenir acteur ou enseignant. A quel moment ramener le jeune dans la réalité sans le briser ?

Le témoignage de jeunes atteints de PC montre que la pleine acceptation de leurs difficultés les rend plus forts face aux agressions subies. Ils ont alors une juste exigence envers eux-mêmes qui leur permet une vie riche et pleine.

III. Les besoins psychologiques des jeunes atteints de paralysie cérébrale ( PC)

  1. Besoin sécurité

Les jeunes atteints de PC ont avant tout besoin de sécurité physique. Il est important de s’assurer qu’il n’y a pas d’obstacle pouvant entraîner une chute, qu’ils sont bien attachés dans leur fauteuil, qu’ils ne vont pas faire de fausse route avec des morceaux trop gros, etc.

Les jeunes atteints de PC ont aussi besoin d’une routine, parfois même de rituels, de repères précis comme de savoir qui s’occupe d’eux à quel moment. Souvenons-nous que s’ils demandent à chaque fois qu’un objet soit à tel endroit, au-delà du côté pratique qui va de soi – ou que leur corps soit placé dans telle ou telle position – au-delà de la nécessité de confort qui va de soi, ces demandes de contrôle correspondent à un besoin d’écoute et de réassurance.

Attention, comme tous les jeunes, ils ont aussi besoin d’un cadre, c’est-à-dire que leurs émotions soient accueillies, écoutées et contenues mais aussi de sentir que tout ne leur est pas permis. Nous rencontrons souvent des parents ahuris de voir que leur enfant, avec les soignants, est capable d’attendre, de dire “s’il te plaît”, “merci” etc. alors qu’il se comporte comme un tyran avec eux. C’est d’autant plus douloureux que les parents ont toujours pensé que c’était le handicap ou la douleur qui rendaient toute politesse impossible, alors qu’il s’agit en fait d’un cadre qui n’a pas été assez fermement posé.

Les aidants ont souvent du mal à prendre soin d’eux. Or, s’ils ne sont pas suffisamment attentifs à leurs besoins, ils risquent de se sentir fatigués, puis sensibles, puis susceptibles et peuvent parfois même devenir agressifs voire maltraitants. Même si la situation que vit le jeune atteint de PC est insupportable, pour le protéger et éviter toute maltraitance, l’aidant va plutôt chercher à retourner sur lui-même ou sur un de ses proches sa colère.  Cette maman d’un enfant atteint de PC l’exprime ainsi : “Quand mon fils était hospitalisé, je me demandais toujours si ma présence permanente était vraiment nécessaire ou si c’était juste que j’avais besoin de me prouver que j’étais une bonne mère. En même temps, le fait de rester non-stop auprès de lui me rendait de moins en moins patiente, bienveillante, tolérante, compréhensive et je me demande si cela ne faisait pas de moi une moins bonne mère ? J’étais tellement fatiguée et j’avais tellement peur de l’envoyer bouler que je lui disais oui à tout. Il me traitait n’importe comment et je pensais que c’était normal ! Après ça, je me sentais tellement nulle, que je tentais de satisfaire chacun de ses désirs pour qu’il me renvoie une meilleure image de moi…” Seuls ceux qui consentent à ce qui peut arriver à leurs proches arrivent à ne pas être dans un épuisement total et à garder le goût de vivre. Ainsi cette autre maman d’un petit atteint de PC très sévère explique : « J’ai un secret, je me suis fait la promesse de me faire, tous les jours, un petit plaisir pour ne pas lui en vouloir si jamais il me pourrit la vie ! Et ça marche, grâce à lui, je savoure beaucoup mieux l’instant présent !” 

  1. Besoin affectif  

Les liens affectifs influencent les capacités d’apprentissage, de mémorisation, de réflexion, mais aussi les capacités relationnelles, la gestion des émotions et des sentiments. Les enfants ou les jeunes atteints de PC – avec ou sans déficience intellectuelle – ne font pas exception. S’ils ne bénéficient pas d’empathie ou subissent des humiliations répétées, cela aura des répercussions sur leur personnalité et ajoutera de nouvelles  difficultés à leurs difficultés de base. 

Comme l’a montré Jean Decety, chercheur en neurosciences affectives et sociales à Chicago, les enfants ont besoin de parents capables d’empathie et pas seulement de sympathie – de même, le jeune atteints de PC a besoin de sentir que son entourage ne cherche pas seulement à lui apporter du bien-être, à fusionner avec lui et souffrir avec lui (sympathie), mais cherche aussi à le comprendre en se mettant à sa place, tout en gardant son point de vue (empathie). 


Il est aussi nécessaire d’apprendre aux jeunes atteints de PC à accepter les autres tels qu’ils sont, et de les aider à comprendre leurs besoins. Ce n’est pas parce qu’un jeune est atteint de PC qu’il ne peut pas reconnaître et tenir compte des signes de fatigue de sa maman ou d’énervement de son père.

Les jeunes atteints de PC se plaignent souvent d’être victimes de rejet, voire de violence.  C’est vrai, nous l’avons décrit précédemment, mais il arrive aussi que leur solitude soit due à leurs difficultés à gérer la frustration et à leur posture tyrannique. Ils tentent de reproduire avec leurs pairs ce qu’ils vivent avec leurs proches : ils cherchent à être au centre de l’attention, veulent tout contrôler. Ils ont comme tous les jeunes besoin d’un cadre ajusté c’est-à-dire de bienveillance et de fermeté, d’amour et d’autorité. Autrement, leur vrai handicap ne sera pas ce qui découle de leur paralysie cérébrale mais leur côté tyrannique. 

Leur isolement peut aussi être en lien avec leur souffrance. Elle peut faire fuir leurs proches, et même les professionnels. Pourtant, une de leur principale demande est d’être écouté. Beaucoup de proches se demandent comment écouter et de nombreux soignants souffrent de ne plus avoir le temps de le faire. Samia, 12 ans, explique : “Une vraie écoute ce n’est pas toujours une question de temps, c’est avant tout une question de regard et de douceur”. 

L’écoute prend plusieurs chemins et doit éviter plusieurs écueils, comme nier (“mais non ça fait pas mal”), minimiser (“tu exagères c’est pas si douloureux”), ou augmenter la souffrance ressentie (“oh, là, là mais quelle horreur ! comment tu fais pour supporter une douleur pareille ?!”) ou chercher immédiatement une solution sans écouter (“Ne dis rien, j’ai compris je vais trouver une solution maintenant on va …”). Moins la personne se sent entendue, plus elle peut avoir besoin d’amplifier l’expression de sa souffrance. Ce qui aide, c’est d’autoriser et d’écouter l’expression de l’émotion ressentie : “Dis-moi combien tu es en colère !”, “tu as tout à fait le droit de pleurer, ça n’est ni mal ni méchant d’être triste”. Souvent c’est le besoin d’être entendu qui prime, une fois que quelqu’un a pu entendre sa souffrance, la personne s’apaise.

Il s’agit finalement quand les problèmes deviennent insupportables de ne pas les nier, de ne pas les amplifier et de chercher à discipliner notre imagination pour éviter d’empirer la situation en devançant des problèmes qui ne sont pas encore là et qui pourrait ne jamais subvenir. 

Le jeune atteint de PC a besoin du regard de l’autre pour s’aimer et s’accepter. Lorsqu’il lit dans le regard de celui qui prend soin de lui du dégoût, un ras-le-bol, de la pitié, ou la peur d’être contaminé par ses différences ou happé dans un mouvement dépressif, sa souffrance augmente. Elle peut même devenir insupportable car à sa douleur s’ajoutent alors angoisse, solitude, tristesse…. Certains jeunes expliquent même qu’ils captent tout de suite lorsque leur entourage se bloque, se ferme. La peur d’être abandonné pousse même certains à taire leur douleur. 

Lorsque l’impuissance est reconnue par l’aidant, voire mise en mots avec délicatesse ou humour (l’aidant se moquant de son incapacité à soulager, sans jamais se moquer des incapacités de la personne atteinte de paralysie cérébrale), lorsque l’aidant sait se retirer, souffler, prendre une pause avant d’envoyer un regard réprobateur voire tueur ou une remarque désagréable, cette douleur devient compassion, empathie, écoute, chemin d’apprentissage, chemin de vie. Ce regard qui porte, restaure le jeune atteint de PC, peut être celui d’un proche comme celui d’un soignant. Nombreux témoignent qu’il a suffit que quelqu’un les regarde avec plein de douceur, de respect, d’admiration ou d’amour pour qu’ils parviennent à s’accepter profondément, à consentir au réel de ce qu’ils sont et des situations qu’ils ont à vivre. Ils sont alors parvenus à s’aimer avec toutes leurs limites et jusque dans leurs faiblesses. 

  1. Besoin d’établir une juste distance par rapport à la souffrance : Dépasser les inlassables « pourquoi » afin de se demander « comment vivre avec ? » 

Le handicap des jeunes atteints de PC entraîne des besoins spécifiques, celui d’être informé de tout ce qui les concerne à la hauteur de ce qu’ils peuvent et souhaitent comprendre. Face à la douleur, deux mécanismes de défense s’opposent : 

  • Certains ont besoin de comprendre scientifiquement la douleur. Ils veulent connaître précisément le diagnostic ou le pronostic afin de « se préparer au pire, à toutes les éventualités même les pires pour au cas où … » et ce n’est qu’après avoir envisagé le pire qu’ils peuvent accueillir le présent et y consentir. Choisir des mots simples, en reprenant les mots que le patient utilise pour parler de sa douleur, permettra qu’il puisse s’approprier l’information. 
  • D’autres au contraire, préfèrent “vivre au jour le jour » afin de ne pas charger aujourd’hui des soucis qui n’arriveront que demain.

Comme Guillaume, atteint de PC, l’explique : “il s’agit d’écouter suffisamment la douleur pour qu’elle ne prenne pas trop d’ampleur et de l’ignorer suffisamment pour que la souffrance ne nous dirige pas.”

Dans bien des épreuves, ce qui nous est souvent le plus difficile, ce n’est pas tant de souffrir, que de ne pas savoir pourquoi nous souffrons. Certaines questions nous rongent de l’intérieur, car notre intelligence bute et nous sommes incapables de comprendre pourquoi nous vivons cette épreuve : « Pourquoi? Pourquoi moi ? Pourquoi nous ? » La douleur est même parfois moins éprouvante que le fait de ne pas comprendre quel sens lui donner. Alors que la vraie question, celle qui fait avancer, c’est non pas quel sens a cette souffrance, mais « qu’est ce qui peut me permettre de donner du sens à ce que je suis en train de vivre ? Comment faire avec cette situation ? Comment vivre avec cette limite, cette souffrance ? »

Finalement, le jeune atteints de PC et ses proches ont un tour de force à faire pour distinguer ce qui peut être amélioré, les souffrances qui peuvent être soulagées de celles qui ne peuvent l’être, distinguer ce qui dépend d’eux, de ce qu’ils ne peuvent changer afin de ne pas s’épuiser dans des combats stériles. Il s’agit d’apprendre à lâcher prise, à ne plus chercher à contrôler,  mais juste à faire confiance aux équipes soignantes et à s’abandonner à l’aujourd’hui de la situation. Cela consiste à éclairer différemment la réalité, la regarder sous un autre angle, sans chercher à la contrôler, et ainsi tout s’éclaire autrement, grâce au seul fait de consentir à l’impact de la réalité. Le philosophe Alexandre Jolien, philosophe atteint de PC, ajoute “l’abandon, c’est peut-être ne plus considérer ses fragilités comme des ennemies à abattre. Ne plus considérer les blessures comme l’adversaire numéro un, mais les accueillir…Oser la patience. Oser la non lutte. C’est peut-être le summum du courage”.

  1. Besoin de confiance pour développer leur autonomie et se sentir compétent et utile.

Le handicap de certaines personnes atteintes de PC les empêche d’être seuls. Ils ont néanmoins besoin d’apprendre à être seuls en présence d’un tiers. Cela développera leur sentiment de compétence et d’estime d’eux-mêmes. Cette expérience les aidera à vivre la solitude non pas comme une expérience destructrice et angoissante mais comme un moment potentiellement enrichissant qui ressource. 


De même, autant que possible, laissons-les résoudre eux-mêmes les problèmes qu’ils rencontrent. Le handicap pousse beaucoup d’aidants à faire les choses à la place de la personne atteinte de PC, pour que ce soit mieux ou plus vite fait. Certes, ainsi  la situation à court terme est résolue ; mais à long terme, nous les privons de la possibilité de développer un minimum d’autonomie ou un sentiment de compétences même minime qui les aideront à avoir une meilleure confiance et estime d’elles-mêmes. Quand elles entreprennent quelque chose, n’ont pas le temps d’aller au bout de leur initiative car elles essuient d’emblée des remarques ou des commentaires du style : “Attends laisse-moi faire”, “dis-moi ce que tu veux, ça ira plus vite…”etc. Cela fait naître un sentiment de découragement, casse leur élan et atteint leur estime d’elles-mêmes. Ne se sentant ni compétentes, ni prises au sérieux, elles risquent de se réfugier dans trois types d’attitude : 

– S’épuiser à essayer de faire en s’obstinant parfois dans des choix sans issue.

– S’opposer à l’aidant en cherchant à faire capoter le moindre projet.

– Laisser tomber toute initiative et devenir complètement passif.

Ces réactions peuvent se prolonger jusqu’à l’âge adulte, et nous savons tous combien il est difficile de se défaire d’une attitude bien ancrée depuis l’enfance.

Les jeunes atteints de PC ont besoin d’encouragements. Certaines paroles peuvent détruire ou atteindre leur estime d’eux-mêmes. Je me souviens de cette maman qui m’avait glacée en disant devant son enfant très lourdement handicapé : « Ce serait bien de lui faire un test de Q.I. pour voir s’ il y a quelque chose là-dedans. Vous comprenez s’il est “neu-neu”, je le traiterai comme une plante verte, je le mettrais dans un coin et basta !

Évitons aussi les remarques positives générales qui peuvent aussi être très lourdes à porter. Ainsi les “tu es le plus gentil“, “elle est toujours de bonne humeur”, etc. ne sont pas toujours vécues comme des compliments. Certains jeunes atteints de PC vont néanmoins tenter de se conformer à une image que parents, aidants ou soignants ont plaquée sur eux. Ils savent bien au fond d’eux que parfois, ils ne sont pas gentils ou de bonne humeur. N’oublions pas qu’ils sont très dépendants du regard que l’on porte sur eux et c’est normal, jusqu’à un certain âge, mais ils ont besoin de développer un étayage suffisamment solide pour pouvoir s’auto-évaluer et contrebalancer le regard d’autrui.

La PC entraîne une série de handicaps ou d’incapacités dans laquelle il est important de ne pas enfermer la personne. Aidons-les à connaître leurs points forts. Chaque “tu ne peux pas ou tu ne peux plus” devrait être accompagné d’un champ de possible “et en même tu peux toujours…”. C’est très bien de dire à un enfant que ce qu’il fait est beau si ça l’est vraiment mais c’est insuffisant. Il a besoin de plus de détails pour savoir comment s’améliorer ou refaire ce qu’il a réussi. Nous pouvons aussi lui dire : “C’est vraiment beau cette partie de ton dessin où tu as crayonné en transparence” ou « C’était vraiment beau la façon dont tu t’y es pris, à trois reprises, pour obtenir cet objet sur la table. Ton courage et ton sens de la persévérance m’impressionnent”.

Bien entendu, évitons toutes les remarques qui enferment dans une étiquette négative du style: « Ça c’est mon gros paresseux», “C’est un menteur”. Préférant des remarques du style : « J’ai vu qu’aujourd’hui tu as eu du mal à faire des efforts” ou “Je n’aime pas quand tu me racontes des histoires”. Ne pas réduire une personne à son acte permet de ne pas l’enfermer dans un événement passé. À l’inverse, nous augmenterons la portée de nos appréciations positives en les contextualisant. Le but est que l’enfant ou le jeune atteints de PC apprenne à s’auto-évaluer pour qu’il ne soit pas comme un mendiant d’amour qui recherche sans cesse l’approbation ou la reconnaissance des autres. Sa soif d’ amour peut faire fuir ceux qui l’entourent.

La vie pour ces jeunes est souvent faite d’humiliation. Il ne s’agit pas de tomber dans l’excès inverse mais plutôt de leur apprendre l’humilité. C’est-à-dire leur apprendre à être vrai : “Vous avez sûrement du mal à me comprendre mais vous allez voir que dans cinq ou dix minutes ça ira, faites vous confiance vous allez y arriver !”. Reconnaître ses limites, dire les choses en toute sincérité, sans se focaliser sur les remarques désagréables ou les regards de travers permet d’adhérer à la réalité de la vie, l’accueillir telle qu’elle est  et s’en réjouir car elle est un don et non dû.
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  1. Besoin d’apprendre à consentir à ce qu’ils sont et à vivre dans le présent.

 Les familles des jeunes atteints de PC sont longtemps travaillées par le deuil de la vie imaginée avant le diagnostic de PC, avant de pouvoir parvenir à consentir à leur vie telle qu’elle est. 

Au départ, ils ne peuvent s’empêcher de comparer sans cesse leur enfant aux autres. Bien après le diagnostic de PC, ils s’accrochent au moindre petit détail qui montre une progression pour penser que leur enfant ne sera pas aussi handicapé que ce qui leur a été prédit. Puis, ils ont besoin de vivre et d’exprimer ce que cela leur fait de ne pas avoir “un enfant comme tout le monde”. C’est ensuite en nourrissant leur besoin spécifique en lien avec la singularité de leur vie, qu’ils parviennent à développer un autre lien à eux-même et à leur enfant. Finalement, c’est en consentant aux atteintes de leur enfant et à ses limites, et en acceptant tout ce qui n’est pas possible, qu’ils peuvent développer un autre rapport au monde et à autrui.

De son côté l’enfant ne perçoit pas tout de suite qu’il est différent, certains manques ne le deviennent que lorsqu’il se compare aux autres. Et la comparaison fait souvent des dégâts sur le plan psychique. Ainsi, comme l’explique Alexandre Jollien, si on vous demande si ça ne vous manque pas de ne pas avoir d’ailes, vous répondrez probablement : “ non, pas du tout !”. Par contre, si vous allez dans un lieu où tous ceux qui vous entourent peuvent voler, alors cela vous semblera injuste que vous, vous ne puissiez pas le faire. 

Ce qui écrase le jeune atteint de PC, ce n’est pas toujours la souffrance, mais parfois son anticipation ou sa projection. Or, imaginer les épreuves à l’avance, c’est bien pire que vivre la pire des épreuves. C’est en évitant de se charger des regrets d’hier ou des soucis de demain qu’il est possible d’avancer sereinement sur la frêle passerelle qu’est l’aujourd’hui. Cela permet de garder une attitude positive et confiante plutôt que de se laisser aller au découragement.

Afin de ne pas être happé dans une lutte stérile, le jeune a besoin d’apprendre à distinguer ce qu’il peut changer, améliorer dans son rapport aux autres, à lui-même ou au monde, de ce qu’il ne peut faire progresser.

Le jeune atteint de PC se trouve quotidiennement confronté à des situations qu’il ne peut pas contrôler et est obligé d’accepter, multitude de moments contraires à ses envies, désirs ou aspirations. Certains parviennent si bien à consentir à ce qu’ils ont à vivre, qu’ils sont capables non pas de subir mais de « choisir » (même s’ ils n’ont pas de choix !) de vivre avec la réalité qui leur est imposée. Certains patients atteints de PC nous ont ainsi émerveillés par leur capacité à être bien plus libres que nous car capables d’accueillir positivement toute chose. Alexandre Jollien,  l’exprime ainsi “le désir de ne pas souffrir est tellement présent en moi que je me protège de la vie. Ce faisant, j’empêche ce qui me permettrait de la goûter pleinement, c’est -à -dire l’abandon… Le chemin de ma vie, c’est d’accepter ou plutôt d’accueillir tout mon être, sans rien rejeter de lui. Trouver la beauté, la joie, là où elles se donnent : dans ce corps , dans cet être, dans cette vie et non dans une vie rêvée, idéalisée. C’est dans le quotidien, dans le banal que la joie réside. Une conversion de ma vie fut de ne plus me demander “qu’est-ce qu’il me faut pour être heureux ?” mais “comment être heureux dans la joie ici et maintenant.””

La paralysie cérébrale les oblige à cheminer très vite vers une acceptation de leurs limites. Ce n’est pas de la résignation, mais une transformation du réel de manière féconde, en acceptant de faire avec. Mais accepter, consentir, vivre avec, faire avec le handicap ne doit pas étouffer le désir de s’améliorer, de se dépasser, d’essayer sans cesse de nouvelles choses, et de progresser ne serait-ce que dans une quête spirituelle – quand plus aucune amélioration physique ne peut être envisagée. Khalid en témoigne :

Je suis… heureux”. Il ajoute deux mots sur son clavier, pour finir la phrase : « … de vivre. Je suis dans la paix ». Nous avons passé bien des séances à parler de la mort, des peurs et des angoisses, mais en ce moment Khalid veut absolument me dire à quel point il est heureux, pas juste d’être en vie, mais de vivre. Même si cette vie est à mobilité très réduite et peut sembler incomplète à beaucoup de gens, il se sent pleinement vivant. Je lui demande alors s’il se sent fragile ? La réponse ne tarde pas à apparaître sur son écran : « Je dirais que la fragilité c’est dans la tête. Je ne vais pas dire que je suis superman, mais je suis plutôt bien. Mon mental me permet d’être bien comme ça. Après tout ce que j’ai eu, on est obligé ! Mon frère, comme il est timide, il n’aime pas parler avec les autres. Il est bloqué par sa timidité, mais il est heureux. Moi, c’est mon corps qui me bloque, mais ça ne m’empêche pas d’être heureux ». 

   6. Besoin spirituel : Répondons à leur quête de sens 

A la fin du XIXème siècle, Paul Claudel a écrit “Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance. Il n’est même pas venu l’expliquer, mais il est venu la remplir de sa présence”. Aujourd’hui, très peu de gens se réfèrent à une religion et pourtant… et pourtant dans le service de réanimation dans lequel nous travaillons, chaque fois que quelqu’un souffre, chaque fois qu’une famille est confrontée à la fragilité de la vie, le besoin spirituel apparaît. 

Nous pouvons vivre sans religion mais pas sans donner du sens à ce qui a priori n’en a pas. Que nous ayons une religion ou pas, ne laissons pas les jeunes atteints de PC croire que toutes leurs attentes peuvent être satisfaites par des réponses matérielles. N’hésitons pas à leur expliquer que nous avons tous – avec ou sans handicap – un manque, un creux, une soif profonde, qui ne peut pas être étanchée par la recherche de plaisir, la consommation, l’achat d’un téléphone dernier cri ou de nouveaux vêtements. Mais que cette soif est un appel à accueillir notre intériorité. Ce creux devient alors comme un vase dans lequel nous pouvons faire germer la vie : soutenons leur désir de se donner, d’être attentifs aux autres, d’écouter leur source intérieure, aidons-les à mener leur vie telle qu’ils désirent qu’elle soit, non telle que la société nous pousse à la mener…

Ces jeunes atteints de PC ont soif de spiritualité. Très tôt, ils ont besoin de savoir comment commence et comment se termine la vie : “Où étais-je avant de naître ? » ; “Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal pour que Dieu me rende ainsi ?”; “C’était une grosse bêtise de mettre le cordon autour de mon cou, si j’avais été plus sage, je n’aurais pas été puni ?”, « Qu’est-ce qu’on devient quand on part au ciel? » ; “C’est quoi le sens de la vie ? ». Il est donc important de leur transmettre ce qui compte pour nous, nos aspirations, nos espérances, notre vision de l’amour, de la beauté du monde et du sens de la vie. Plus leur réalité sera dure, plus il conviendra de les ouvrir sur d’autres réalités, moins tangibles mais plus désaltérantes.

Les jeunes atteints de PC ont besoin de s’exercer à la gratitude. Le but n’est pas de nier les drames, les souffrances ou les difficultés qu’ils vivent. Nous n’allons pas leur demander de s’émerveiller de tout, ce serait leur demander l’impossible et cela risque de les culpabiliser s’ils n’y arrivent pas. Ce qui compte c’est plutôt de leur apprendre à se nourrir de ce qui va bien, c’est-à-dire développer leur capacité à recevoir ce que la vie continue à leur donner. Il s’agit donc de ne pas se focaliser sur les difficultés grandissantes (par exemple, de la marche), mais de continuer à s’émerveiller des possibilités qui demeurent encore possible (se déplacer sans fauteuil) pour s’ouvrir à la joie, s’ouvrir à ce qui est donné chaque jour. Alexandre Jollien le dit ainsi : “La joie procéde à mes yeux plus de l’acte de recevoir que de celui de conquérir”.

Conclusion : Ce que ces jeunes atteints de PC nous apprennent

Cet article nous a permis de mesurer à quel point les jeunes ayant une PC sont confrontés à des douleurs et des souffrances intenses et difficiles à gérer d’abord pour eux mais aussi pour leurs proches. Victor Franckl, psychiatre, échappé des camps de concentration et fondateur de  la logothérapie, disait “La souffrance cesse de faire mal au moment où elle prend un sens”. Il explique : “Plutôt que nous demander ce que la vie allait nous apporter, nous devions nous demander ce que nous allions apporter à la vie.” Ce changement de paradigme est important. 

Ainsi, bien des personnes atteintes de PC nous éclairent sur le sens que nous pouvons choisir de donner à la vie, à notre vie. Elles sont confrontées à d’indéniables douleurs qui font naître des souffrances plus ou moins importantes selon leur gêne, leur histoire et l’environnement sociétal et affectif qui les entourent. Notre façon de vivre la souffrance dépend à la fois de ce que nous sommes, notre histoire, notre caractère, nos croyances, nos espérances … mais aussi de notre environnement, de la société dans laquelle nous vivons, de la culture et des croyances des personnes qui nous entourent. Certaines personnes atteintes de PC vont se briser à la moindre réflexion. D’autres au contraire, quoi qu’il leur arrive, quelles que soient les souffrances qu’elles doivent surmonter, vont se remettre et retrouver rapidement leur élan de vie. Ceux-là nous font grandir, ils nous apprennent à nous libérer du regard des autres. Ceux dont le handicap est très visible ne peuvent pas tricher, camoufler leurs faiblesses. Et pourtant, ce sont eux qui nous révèlent que la vraie liberté ce n’est pas d’avoir le plus de choix. La vraie liberté est un positionnement psychologique qui consiste à consentir à ce que cela fait naître en nous, sans nous laisser diriger par nos fragilités. Leur façon d’être vient nous dire “mon corps n’a pas besoin de ton approbation”. 

Certains jeunes patients atteints de PC, nous apprennent par leur manière d’être authentique, à consentir et faire avec nos limites et nos souffrances, à aller à l’essentiel. Par eux, nous comprenons que le plus important, ce n’est pas d’avoir, de posséder, de contrôler mais, de savoir accueillir nos différences, nos fragilités, nos vulnérabilités et nos souffrances. Ils nous rappellent que chercher à vivre une vie sans souffrance est une illusion. Ils nous montrent par leur manière d’être, par leur manière de prendre la vie, que la vie – parce qu’elle comporte toujours des frustrations – est forcément faite de souffrance, et que c’est en consentant à cette souffrance que nous libérons notre puissance de vie.

Libérés de la tension continuelle pour correspondre à ce que les autres attendent d’eux (ou de ce qu’ils imaginent qu’on attend d’eux), libérés des exigences esthétiques, libérés de la course perpétuelle contre le temps, ils ne s’épuisent pas à être conformes au top-modèle, ou à réussir leur vie selon les critères de réussite transmis par les réseaux sociaux – à savoir gagner le maximum d’argent. Ils peuvent développer la profondeur de leur Être sans être obnubilés par l’Avoir. Leur acceptation très tranquille de toutes les conséquences de leur paralysie cérébrale et de leur handicap est un bel enseignement pour nous. Libérés de la pression de perfection extérieure, de l’héroïsme mis en scène sur les réseaux sociaux, ou de l’obligation d’être sans cesse impeccables etc., ils nous invitent à ne pas nous épuiser en cherchant à être les meilleurs, mais à simplement donner le meilleur de nous-mêmes – sans nous comparer, sans nous laisser tyranniser par un idéal de nous-mêmes. 

Dans le service, nous observons que bien des patients, nous apprennent à ne pas laisser aux autres le pouvoir d’évaluer notre beauté, notre intelligence, nos capacités… Avec elles, nous apprenons que finalement, nous ne pouvons être réellement libre que si nous acceptons de ne pas toujours l’être, c’est à dire si nous consentons à nos limites, nos fragilités ou notre vulnérabilité.

A la suite de Victor Franckl, certains jeunes atteints de PC, nous démontrent par leur façon de vivre la souffrance que nous sommes toujours libres. Même quand nous n’avons plus de choix, même dans la souffrance extrême comme dans les camps de concentration ou dans l’enfermement d’un corps tyrannisé par la douleur, nous avons le choix d’orienter notre regard vers ce qui nous détruit ou vers la beauté d’un objet ou du ciel. En consentant à leurs limites personnelles, leurs fragilités, à leurs impuissances, à la situation que la vie leur impose, ils retrouvent leur liberté. Ces patients nous apprennent que ce sont les situations que nous ne maîtrisons pas qui nous font le plus grandir. 

Nous perdons beaucoup de temps et d’énergie à appréhender l’avenir, à nous plaindre ou à exiger que les choses soient différentes, voire à rêver de l’impossible (une famille sans conflit, des proches qui ne s’énervent jamais, une sensibilité contenue…). La rencontre avec certains jeunes atteints de PC nous apprend le vrai sens du mot liberté. Ils ne sont propriétaires ni de leur vie, ni de leur temps. Ils dépendent souvent beaucoup des autres, ne contrôlent pas grand-chose de leur environnement mais beaucoup d’entre eux ont un esprit plus libre et un cœur plus vaste que le nôtre ! Car nous, finalement, ne sommes-nous pas bien trop souvent dépendants du regard des autres ? Ne sommes-nous pas prisonniers du jugement extérieur, ou de notre propre regard sur nous-même ? Ne passons-nous pas une partie de notre temps à imaginer ce qui pourrait nous arriver ? N’est-ce pas là notre vraie prison ?  Imaginer une épreuve, une souffrance est pire que de la vivre, alors cherchons plutôt à habiter l’instant présent. 

Ma pratique en cabinet libéral me donne de rencontrer de nombreuses personnes qui refusent toute douleur, qui pensent – comme certains réseaux peuvent le faire croire – que la vie peut et ne doit être que bonheur. En refusant la part de souffrance intrinsèque à la vie, en recherchant ce qui apporte du plaisir, du confort, leur souffrance est bien plus lourde à porter. Beaucoup d’entre eux viennent me voir car ils ont peur d’une souffrance qui n’est pas encore là. Mais ne sommes-nous pas tous prisonniers des souffrances imaginaires que nous avons peur de rencontrer ?  J’observe que ce qui les détruit encore plus que la souffrance, c’est la peur de la souffrance. 

A côté d’eux, bien des jeunes atteints de PC que j’ai pu accompagner lors de leur hospitalisation m’ont montré qu’il était possible de ne pas anticiper, de ne pas devancer les difficultés mais d’accueillir la souffrance quand elle vient, d’y consentir, et ainsi de faire de la souffrance, un chemin de croissance et de vie. Leur cœur n’est pas étroit, ils nous apprennent à vivre avec nos peurs et sans égoïsme. Ils se réjouissent de chaque rencontre, de chaque relation. Ils nous apprennent que même si l’on ne peut pas guérir de ses blessures, on peut vivre avec. Laissons à Khalid – 21 ans – le mot de la fin : “La vie est belle. Chaque jour est différent avec toutes les émotions qui nous traversent. Les épreuves sont là pour révéler la beauté de la vie. C’est en regardant la beauté de la vie qu’on a moins peur de la mort.”

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