ACCOMPAGNER L’ENFANT HOSPITALISE handicapé, gravement malade ou en fin de vie (livre)


Avant-propos

A l’heure où en France et ailleurs, beaucoup s’interrogent sur l’intérêt de légaliser l’euthanasie ; à l’heure où nos sociétés nous imposent d’être beau et performant ; à l’heure où la différence fait peur à certains ; où les plus faibles dérangent de plus en plus… des enfants, des parents, des fratries, des grands-parents, des soignants se battent contre
la maladie et le handicap d’une manière admirable ! Ce que nous, adultes, ne serions peut-être pas capables de supporter et que nous jugerions sûrement intolérable et sans issue, eux, les enfants, en font un chemin de vie.

Ce livre a été écrit pour souligner leur force de vie et le courage de ceux qui
les entourent au quotidien.
Je pense particulièrement à tous ces enfants
qui, quoi qu’entièrement paralysés, très lourdement handicapés ou très
gravement malades, ne se plaignent presque jamais et parviennent non seulement
à être joyeux mais en plus à communiquer leur joie d’être à ceux qui les
côtoient. J’ai voulu  écrire ce livre pour leur rendre hommage.

            Ici et là, nombreux sont ceux qui se demandent : pourquoi des familles entières voient-elles, du jour au lendemain, leur vie entièrement chamboulée suite à un accident ou une maladie grave ? Pourquoi tant de drames ? Pourquoi tant de souffrance ? Ressasser sans cesse toute une série de « pourquoi » empêche d’avancer et pousse à éluder des questions bien plus importantes.
            Je ne peux pas dire que ces « pourquoi » ne viennent pas parfois titiller mes méninges, mais j’ai décidé de ne pas me focaliser là-dessus. Vous ne trouverez pas dans ce livre de réponse à ce genre de questions.
            Si, en revanche, vous voulez vous demander « comment » :
– Comment aider un jeune à
retrouver le goût de vivre alors qu’il est subitement entièrement
paralysé ?
– Comment aider un enfant à
parler des maltraitances ou des abus sexuels qu’il a subis ?
– Comment aider un enfant à
reprendre contact avec ses parents défigurés (par des machines, des plaies,
etc.) ?
– Comment aider un adolescent en
fin de vie à confier ses questions et ses angoisses sur la mort ?
– Comment soutenir des parents
dont l’enfant est confronté à l’insoutenable ?
– Comment accompagner une
fratrie tout au long de l’hospitalisation, voire du décès, de leur frère ou de
leur sœur ?          
– Comment soutenir une équipe et
aider les soignants à tenir dans la confrontation régulière à la souffrance et
à la mort ?
– Enfin, comment prendre soin de
soi pour prendre soin des autres ?
            Si toutes ces questions vous intéressent, ce livre est fait pour vous ! Mais
attention, il n’est pas forcément facile à lire ! Non pas à cause de concepts théoriques difficiles à comprendre mais simplement parce que j’ai souhaité y transmettre beaucoup de la réalité de mon travail de psychologue en réanimation pédiatrique, soins intensifs et neuropédiatrie. Vous y découvrirez donc de nombreux cas cliniques.
Rappelez-vous qu’ils n’ont pas été vécus les uns à la suite des autres, mais se sont étalé sur plus de quinze ans. Les entretiens rapportés ici ne sont pas des modèles. Je ne suis pas partie de ma pratique parce qu’elle est meilleure qu’une autre mais parce que c’est celle que je connais le mieux !! Je ne détiens pas la vérité, loin de là ! Malgré mes années d’expérience, je travaille toujours davantage avec mes doutes qu’avec mes certitudes car chaque
histoire est différente et m’apprend chaque fois quelque chose de nouveau ! A partir de mes notes ou celles de mes stagiaires, à partir de films ou d’entretiens enregistrés, j’ai
tenté de retranscrire les dialogues le plus fidèlement possible, sans occulter mes faiblesses, mes mécanismes de défense ou mon contre-transfert. J’ai bien souvent été tentée de modifier telle ou telle parole que j’ai prononcée et relire certaines de mes réactions n’a pas toujours été facile : mon but n’est pas de donner une image idéalisée du psychologue mais, au contraire, de montrer comment travailler avec ses défaillances et ses limites… avec son humanité ! Il vous manquera toujours, même si j’ai essayé de l’intégrer, tout ce que j’ai pu comprendre à travers le langage non-verbal des personnes que je recevais en entretien. Certaines de mes questions peuvent apparaître abruptes à la lecture mais en réalité elles arrivent souvent après de longs temps de silence (indiqué par trois points de suspension) et mettent en mots ce que me transmet le langage non-verbal, les mimiques du visage, le rythme de la respiration etc.
            Vous trouverez  dans ce livre les illustrations cliniques des accompagnements qui se sont plutôt bien passé ou qui m’ont le plus appris ; je n’oublie pas tous les enfants, tous les adolescents, toutes les familles, tous les soignants que j’ai déçus ou blessés par mes maladresses ou mes erreurs, ceux que j’ai fui parce qu’ils ne me renvoyaient pas une belle image de moi ou parce que je me sentais trop impuissante. J’aurais aimé pouvoir leur dire combien je suis désolée de n’avoir pas pu ou su les aider.
            Et je voudrais remercier ceux qui se sont confiés avec sincérité, sans peur d’être jugés, et qui m’ont ainsi permis d’aiguiser mon écoute. En mettant des mots sur leur souffrance et parfois, leur espérance, ils m’ont considérablement enrichie. Grâce à eux, j’ai pu aider ceux qui, sidérés par le drame qu’ils devaient affronter, ne savaient pas comment exprimer les pensées qui les traversaient, les maux qui les entravaient, les émotions et sentiments qu’ils éprouvaient. Aucune famille ne vivra de la même manière une même maladie ou un même handicap, je le sais bien ! Mais tout ce que j’ai pu donner, je l’avais reçu d’autres familles, d’autres soignants… ou de mes proches.
           
             Avec le temps, j’ai appris à ne plus avoir peur de mes doutes, de mes peurs, de mes limites. Je m’autorise à pleurer avant ou après les entretiens sans y voir le signe que je ne suis pas faite pour ce métier. J’accepte ce que me donne à vivre chaque situation dramatique et je consens à l’empreinte plus ou moins marquée que chaque enfant, chaque famille ou soignant laisse dans mon cœur. Ce n’est pas toujours facile à vivre et c’est souvent épuisant mais c’est tellement enrichissant ! Ma pratique
hospitalière m’a donné d’entendre comment les enfants ou adolescents arrivent à trouver un chemin de vie lorsqu’ils sont confrontés à des situations insoutenables de part la gravité de leur maladie ou la lourdeur de leur handicap. Beaucoup s’interrogent sur le sens que peut avoir la vie de ces enfants tellement diminués. En tout cas, je sais que leur façon de vivre les drames qu’ils ont à affronter donnent sens à ma vie. Ils me livrent un merveilleux cadeau tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel et je ne saurais jamais les remercier à la hauteur de ce qu’ils m’ont donné.