COMMENT ACCUEILLIR LA SOUFFRANCE PSYCHIQUE
DES ENFANTS HOSPITALISES ET DE LEUR FAMILLE
TOUT EN PRENANT EN COMPTE CELLE DES SOIGNANTS ?
Muriel
DEROME, psychologue
DEROME, psychologue
Hôpital Raymond-Poincaré,
Service de pédiatrie réanimation infantile
En collaboration avec Caroline Oudjani et Céline Travers (stagiaires psychologue)
L’hospitalisation d’un enfant met en jeu trois
partenaires : l’enfant lui-même, le système familial au sein duquel il
évolue et l’équipe soignante. Ces acteurs représentent les éléments en interaction d’un même système. Prendre en compte les dynamiques en jeu dans ce système ainsi que chacun de ces trois acteurs pourra permettre une prise en charge globale et de qualité de l’enfant. Cet article visera à montrer la richesse de cette triple dimension du travail du psychologue.
partenaires : l’enfant lui-même, le système familial au sein duquel il
évolue et l’équipe soignante. Ces acteurs représentent les éléments en interaction d’un même système. Prendre en compte les dynamiques en jeu dans ce système ainsi que chacun de ces trois acteurs pourra permettre une prise en charge globale et de qualité de l’enfant. Cet article visera à montrer la richesse de cette triple dimension du travail du psychologue.
L’enfant hospitalisé, sa famille et les soignants :
Acteurs
d’un même système ?
Acteurs
d’un même système ?
Comme nous l’avons dit précédemment, l’enfant, sa famille et l’équipe soignante représentent les différentes entités d’un même système. On entend par « système » un «enchevêtrement intelligible et finalisé d’actions interdépendantes » (Le Moigne, 1990). Autrement dit, il s’agit d’« un complexe d’éléments en interaction » (Von
Bertalanffy,
1991). Selon cette approche dite systémique, « chaque système (nos institutions, les familles) fonctionne avec ses propres lois, et recherche en permanence un état d’équilibre. Un système ne se résume pas à la somme d’individus indépendants, mais est un tout cohérent et indivisible où une modification d’un élément entraîne une modification du système tout entier » (Boniface & Pressard, 2009). Nous sommes donc, ici, face à une logique ternaire impliquant une causalité circulaire. Dans cette logique, le rôle du psychologue sera de soutenir le soignant pour qu’il puisse, à son tour, apporter un soutien aux parents, de façon à ce que ces derniers puissent rester bienveillants, à l’écoute, et soutenants pour leur enfant. Ainsi, soutenir le soignant pourra s’avérer bénéfique, aussi bien pour les parents que pour l’enfant, et réciproquement. De plus, il nous sera possible, grâce à l’attention des soignants, de repérer les enfants ou les familles qui sont le plus en détresse, mais également de prendre conscience de la souffrance de tel ou tel soignant grâce aux remarques des enfants, de leur famille ou des collègues. Le rôle du psychologue sera alors d’évaluer si le mal être est passager
ou si un suivi doit être mis en place. Dans ce cas, il établira un lien avec le
psychologue du personnel. Le psychologue aura également pour mission d’aider et d’accompagner l’évolution du système en favorisant la mise
en place de réflexions éthiques, en permettant à chacun de mettre en mots son vécu et son ressenti, et en aidant les soignants et les familles à voir et à prendre en compte la personne et pas uniquement sa maladie. Car il s’agit non seulement de maîtriser des problèmes strictement médicaux, mais aussi de considérer l’enfant dans sa globalité et sa dynamique familiale : il n’est plus possible pour un soignant d’isoler le symptôme d’un enfant de sa personnalité et de son environnement familial (Ollivier & Rapoport, 1987).
Bertalanffy,
1991). Selon cette approche dite systémique, « chaque système (nos institutions, les familles) fonctionne avec ses propres lois, et recherche en permanence un état d’équilibre. Un système ne se résume pas à la somme d’individus indépendants, mais est un tout cohérent et indivisible où une modification d’un élément entraîne une modification du système tout entier » (Boniface & Pressard, 2009). Nous sommes donc, ici, face à une logique ternaire impliquant une causalité circulaire. Dans cette logique, le rôle du psychologue sera de soutenir le soignant pour qu’il puisse, à son tour, apporter un soutien aux parents, de façon à ce que ces derniers puissent rester bienveillants, à l’écoute, et soutenants pour leur enfant. Ainsi, soutenir le soignant pourra s’avérer bénéfique, aussi bien pour les parents que pour l’enfant, et réciproquement. De plus, il nous sera possible, grâce à l’attention des soignants, de repérer les enfants ou les familles qui sont le plus en détresse, mais également de prendre conscience de la souffrance de tel ou tel soignant grâce aux remarques des enfants, de leur famille ou des collègues. Le rôle du psychologue sera alors d’évaluer si le mal être est passager
ou si un suivi doit être mis en place. Dans ce cas, il établira un lien avec le
psychologue du personnel. Le psychologue aura également pour mission d’aider et d’accompagner l’évolution du système en favorisant la mise
en place de réflexions éthiques, en permettant à chacun de mettre en mots son vécu et son ressenti, et en aidant les soignants et les familles à voir et à prendre en compte la personne et pas uniquement sa maladie. Car il s’agit non seulement de maîtriser des problèmes strictement médicaux, mais aussi de considérer l’enfant dans sa globalité et sa dynamique familiale : il n’est plus possible pour un soignant d’isoler le symptôme d’un enfant de sa personnalité et de son environnement familial (Ollivier & Rapoport, 1987).
Nous allons à présent nous intéresser à la manière d’accueillir au mieux la souffrance psychique de chacun des membres de ce système, en commençant par l’enfant malade, sa famille, puis les soignants. Dans une perspective plus large, nous aborderons brièvement la question du travail institutionnel, des autres enfants hospitalisés et de leur famille.
L’accompagnement
de l’enfant malade
de l’enfant malade
Accompagner un enfant malade, c’est avant tout rester à l’écoute de ce qu’il vit, de ce qu’il pense, de ce qu’il ressent… C’est accueillir ses questions sur ses transformations physiques et les sentiments ou émotions qu’elles entrainent. C’est aussi oser entendre les questions (qui mettent si mal à l’aise) sur sa mort ou les représentations qu’il en a, pour lutter contre la solitude, la peur, l’angoisse, la colère, etc., même lorsque nous n’avons pas de réponse à lui apporter, même si nous ne pouvons pas le rassurer. Il ne s’agit pas seulement d’attendre qu’il pose ses questions, mais plutôt de l’aider à les formuler. A chaque rencontre se joue quelque chose de spécifique qui nous oblige à inventer et à ajuster notre façon d’être et notre pratique. Pour ce faire, il faut veiller à respecter une certaine progression, qui passe en général par les étapes suivantes :
S’intéresser à leur monde
Il est souvent préférable que l’entretien commence par un temps de jeu ou, pour les adolescents, un temps de discussion sur les derniers jeux vidéo, Facebook ou les chanteurs qu’ils préfèrent. Il ne s’agit pas là d’entrer dans une tentative de séduction, mais plutôt de s’intéresser à tout ce qui relie l’enfant ou l’adolescent à la vie. Notre pratique nous a montré qu’une approche trop directe et uniquement centrée sur les émotions n’est pas aidante, mais au contraire risque d’empêcher l’instauration d’un lien thérapeutique. Il semble que, particulièrement pour entrer en contact avec l’adolescent, c’est le temps passé à comprendre et à s’intéresser au monde dans lequel il vit qui va permettre qu’il accepte par la suite de se faire aider. Nos capacités d’ouverture et notre souplesse seront, ici, sollicitées. La pratique hospitalière permet que les premières rencontres soient presque informelles, c’est–à–dire qu’elles n’aient pas lieu dans un bureau, mais qu’elles se déroulent dans les lieux de vie commune (couloir, salle à manger, chambre ou salle de jeux, etc.). Ces moments, en apparence anodins, permettront aux enfants, mais aussi aux parents, de « démystifier » le psychologue et de se libérer de certaines angoisses.
Commencer par poser une question très large comme une occasion à saisir
Une fois ce premier contact établi, les enfants, mais aussi leurs parents, osent plus facilement entrer dans le bureau. Pour savoir comment il se représente la situation, comment il la comprend, l’enfant aura besoin de questions, telles que « Comment tu te sens ? » ou « Et toi, comment tu vis tout ça ? ».
Proposer ensuite des questions plus précises qui touchent à l’approche intellectuelle
Des questions comme « Qu’est-ce que tu as compris de ce que t’ont dit les médecins? Qu’est-ce que tu en penses ?» vont lui permettre d’élaborer une construction personnelle à l’aide des mécanismes de défense qui sont les siens. Il peut aussi être intéressant de comprendre comment il perçoit le chamboulement que l’hospitalisation entraîne dans sa famille : « Et tes parents, tes frères et sœurs, tu trouves qu’ils vont comment ? ».
Aider ensuite l’enfant à mettre des mots sur ses émotions
Certaines personnes savent très bien nommer leurs émotions, et cela les aide souvent à ne pas se laisser dominer par elles. D’autres, au contraire, ont besoin de partir du ressenti physique, concret, tangible,
pour pouvoir prendre conscience de l’émotion qui s’exprime à travers leurs sensations. Le psychologue s’intéressera à l’émotion qui se cache derrière ces manifestations somatiques. Les questions qu’il pourra alors poser vont permettre de lutter contre la solitude, la peur, l’angoisse, la colère, etc., le but étant d’aider l’enfant à ne pas être complètement sous l’emprise de ses émotions. Il a, en effet, besoin d’adultes qui entendent ce qui habite ses pensées, aussi bien que ses sentiments ou ses émotions.
pour pouvoir prendre conscience de l’émotion qui s’exprime à travers leurs sensations. Le psychologue s’intéressera à l’émotion qui se cache derrière ces manifestations somatiques. Les questions qu’il pourra alors poser vont permettre de lutter contre la solitude, la peur, l’angoisse, la colère, etc., le but étant d’aider l’enfant à ne pas être complètement sous l’emprise de ses émotions. Il a, en effet, besoin d’adultes qui entendent ce qui habite ses pensées, aussi bien que ses sentiments ou ses émotions.
Illustration
clinique
:
clinique
:
Jean,
17
ans,
atteint
de
la
maladie
de
Recklinghausen
17
ans,
atteint
de
la
maladie
de
Recklinghausen
Suite à la découverte d’une tumeur au niveau du tronc cérébral, l’état de santé de Jean se dégrade. Il est trachéotomisé et ventilé. Confronté à la tristesse de se sentir de plus en
plus diminué et de devoir quitter sa vie, Jean est très dépressif. Il commence par désinvestir ce qui l’intéresse le moins, puis n’adhère plus aux soins. Il en vient même à tenter à deux reprises de se suicider. Les soignants, sous le choc, nous demandent d’intervenir. Dès notre première rencontre, Jean s’exprime très directement : « Je sais que je vais mourir, mais les médecins sont trop lâches pour me le dire et mes parents sont trop tristes pour m’en parler. ». Jour après jour, grâce au travail d’accompagnement, Jean va pouvoir
exprimer de plus en plus sa souffrance. Se sentant écouté, il va
progressivement
entrer dans une autre phase, celle de l’acceptation.
plus diminué et de devoir quitter sa vie, Jean est très dépressif. Il commence par désinvestir ce qui l’intéresse le moins, puis n’adhère plus aux soins. Il en vient même à tenter à deux reprises de se suicider. Les soignants, sous le choc, nous demandent d’intervenir. Dès notre première rencontre, Jean s’exprime très directement : « Je sais que je vais mourir, mais les médecins sont trop lâches pour me le dire et mes parents sont trop tristes pour m’en parler. ». Jour après jour, grâce au travail d’accompagnement, Jean va pouvoir
exprimer de plus en plus sa souffrance. Se sentant écouté, il va
progressivement
entrer dans une autre phase, celle de l’acceptation.
Cependant, comme nous l’avons évoqué précédemment, l’accompagnement de l’enfant ne se limite pas à la seule intervention auprès de celui-ci. Il est indispensable d’intervenir auprès de tous ceux qui l’entourent, à commencer par sa famille, pour que cet accompagnement soit de bonne qualité et adapté au mieux à la situation.
Accompagner les familles
L’approche de la mort attaque les liens et, par la même occasion, fait fuir les proches.
Bien souvent, les familles veulent surtout qu’on ne touche à rien du « pseudo équilibre » qu’elles ont trouvé, cherchant ainsi à maintenir l’homéostasie du système. Pour beaucoup d’adultes, les résistances sont grandes et ils trouvent souvent que la présence d’une psychologue est presque incongrue, voire déplacée dans un moment où il est « évident » que le problème est somatique.
Avec la mère de Jean, nous prendrons conscience de ce qui se joue autour de la porte lorsqu’on se présente en tant que psychologue. La réponse des parents est presque toujours la même : « Merci, on a besoin de rien ! ». Ensuite, très souvent, ils ressortent de la chambre pour nous dire : « Surtout, vous ne lui dites pas qu’il va mourir, vous ne lui parlez de rien. ». Nous leur répondons : « Moi non, mais lui en parle beaucoup ! ». Très surpris, les parents acceptent alors de venir en parler dans le bureau. L’accompagnement commence. Il permet de maintenir l’activité de penser, qui aide à éviter une déstructuration ou une focalisation sur les soins médicaux (Lazarovici, 1986). Quelques éléments signent le bon déroulement de
la prise en charge.
En effet, au fur et à mesure des entretiens, les parents éteignent la télévision qui servait à meubler le silence. Ils se remettent à parler avec leur enfant, à le regarder, à le toucher. Ils osent, alors même qu’ils ne le verront bientôt plus, continuer à l’aimer jusque dans sa souffrance, ses faiblesses et ses dégradations… Chaque petit geste ou simplement une certaine qualité de présence joueront un rôle essentiel au moment du deuil.
la prise en charge.
En effet, au fur et à mesure des entretiens, les parents éteignent la télévision qui servait à meubler le silence. Ils se remettent à parler avec leur enfant, à le regarder, à le toucher. Ils osent, alors même qu’ils ne le verront bientôt plus, continuer à l’aimer jusque dans sa souffrance, ses faiblesses et ses dégradations… Chaque petit geste ou simplement une certaine qualité de présence joueront un rôle essentiel au moment du deuil.
En phase terminale, Jean a perdu toute autonomie motrice et tous ses sens, à l’exception de la vue. Sa mère, terrorisée par la situation, demande aux équipes si « ça ne serait pas mieux qu’on lui donne quelque chose pour qu’il dorme ? ». Mais nous lui montrons qu’une communication subsiste grâce à l’instauration d’un code qui associe des lettres et des clignements d’œil. Elle s’aperçoit alors que Jean est dans une période où il cherche avant tout à savourer les petits bonheurs de chaque jour. Elle peut alors poursuivre une relation avec son enfant et ainsi rester dans son rôle de mère.
Chez les parents, la mise en place de mécanismes défensifs s’accompagne d’un vécu de culpabilité, qui heurte le narcissisme parental (De Clercq & Lebigot, 2001) et ébranle leur confiance dans la capacité à être parent (Oppenheim, 1995). Accompagner les parents, c’est leur redonner une image positive d’eux-mêmes et accueillir leur ambivalence pour leur permettre d’investir l’instant présent. C’est leur permettre de réinstaurer un lien de qualité pour préserver une relation parent-enfant qui sera le soutien le plus précieux de l’accompagnement de fin de vie.
Mais accompagner des parents, c’est aussi soutenir la relation
parents-soignants, dont la qualité déterminera l’évolution d’un événement qui peut être vécu comme traumatique et désorganisant. Ce soutien est
primordial pour que les parents ne se sentent pas exclus des soins (De Clercq & al., 2001 ; Razavi &
Delvaux, 1998).
parents-soignants, dont la qualité déterminera l’évolution d’un événement qui peut être vécu comme traumatique et désorganisant. Ce soutien est
primordial pour que les parents ne se sentent pas exclus des soins (De Clercq & al., 2001 ; Razavi &
Delvaux, 1998).
Accompagner les soignants
Dans l’immédiateté de la réalité clinique
Alors que les parents de Jean ne sont plus du tout dans ce questionnement, les équipes s’interrogent : « Doit-on vraiment lui infliger ça jusqu’au bout ? Sa mère a peut-être raison, on devrait peut-être l’endormir pour qu’il ne se sente pas humilié d’être si diminué. ». Ici, les professionnels expriment des sentiments de détresse et de doute, qui sont intensifiés par l’angoisse parentale (Gillot de Vries & Detraux, 1998). Ils
sont tellement préoccupés par la décision qu’ils pensent devoir prendre qu’ils ne se rendent pas compte que cette mère est en train de vivre un des plus grands moments d’amour avec son fils. Le psychologue devient alors le lien entre les différents protagonistes en rapportant certains des propos de Jean. Leur regard se pose alors différemment sur lui et la
problématique
qui leur semblait s’imposer devient alors toute différente :
ce qui semblait être de la souffrance pour les soignants, était en fait un moment de Vie pour Jean. Ainsi, en maintenant un moyen de communication, la relation thérapeutique a pu être adaptée.
sont tellement préoccupés par la décision qu’ils pensent devoir prendre qu’ils ne se rendent pas compte que cette mère est en train de vivre un des plus grands moments d’amour avec son fils. Le psychologue devient alors le lien entre les différents protagonistes en rapportant certains des propos de Jean. Leur regard se pose alors différemment sur lui et la
problématique
qui leur semblait s’imposer devient alors toute différente :
ce qui semblait être de la souffrance pour les soignants, était en fait un moment de Vie pour Jean. Ainsi, en maintenant un moyen de communication, la relation thérapeutique a pu être adaptée.
La période de fin de vie d’un jeune confronte chaque soignant à ses limites. Chacun remet en cause sa
« capacité à soigner » et ressent son impuissance devant l’enfant et les parents. Il s’agit de faire face à sa propre angoisse de mort. Certains y parviennent, d’autres ne supportent pas la proximité de la mort. Il y a dix ans, il était courant, le jour de la visite, d’éviter la chambre d’un enfant en fin de vie. Lorsque nous proposions d’aller prendre des nouvelles pour savoir comment s’était passée la nuit, comment allaient les parents, etc., les mécanismes de défense des soignants étaient très opérants et les objections toujours très pertinentes : « Puisqu’il n’y a plus rien à faire et rien à dire, pourquoi veux-tu qu’on entre ? ». Tout cela est à situer dans un contexte particulier.
En effet,
les soignants entendent tout au long de leur formation et de leur pratique hospitalière : « Il faut rester professionnel et ne pas s’attacher. ». Notre démarche est très différente puisque nous proposons une autre approche : oser s’attacher mieux pour mieux se détacher. En effet, pour que des soignants puissent surmonter sans trop de séquelles la confrontation répétée à la lourdeur de la maladie et à la mort, il est nécessaire que chacun puisse être attentif à soi-même, à ses propres besoins, pour être dans un juste rapport à l’autre. Parfois, ce sera simplement faire respecter ses horaires de travail et passer le relai à l’équipe suivante, ou qu’un temps d’arrêt, de deuil, soit accordé juste après la toilette mortuaire. D’autres fois, au contraire, ce sera oser ces petits gestes simples qui changent la vie : passer dire bonjour à l’enfant ou à sa famille, même si on ne s’occupe pas de lui ce jour-là ou, pendant les soins, prendre le temps de raconter une petite histoire ou de chanter une chanson.
« capacité à soigner » et ressent son impuissance devant l’enfant et les parents. Il s’agit de faire face à sa propre angoisse de mort. Certains y parviennent, d’autres ne supportent pas la proximité de la mort. Il y a dix ans, il était courant, le jour de la visite, d’éviter la chambre d’un enfant en fin de vie. Lorsque nous proposions d’aller prendre des nouvelles pour savoir comment s’était passée la nuit, comment allaient les parents, etc., les mécanismes de défense des soignants étaient très opérants et les objections toujours très pertinentes : « Puisqu’il n’y a plus rien à faire et rien à dire, pourquoi veux-tu qu’on entre ? ». Tout cela est à situer dans un contexte particulier.
En effet,
les soignants entendent tout au long de leur formation et de leur pratique hospitalière : « Il faut rester professionnel et ne pas s’attacher. ». Notre démarche est très différente puisque nous proposons une autre approche : oser s’attacher mieux pour mieux se détacher. En effet, pour que des soignants puissent surmonter sans trop de séquelles la confrontation répétée à la lourdeur de la maladie et à la mort, il est nécessaire que chacun puisse être attentif à soi-même, à ses propres besoins, pour être dans un juste rapport à l’autre. Parfois, ce sera simplement faire respecter ses horaires de travail et passer le relai à l’équipe suivante, ou qu’un temps d’arrêt, de deuil, soit accordé juste après la toilette mortuaire. D’autres fois, au contraire, ce sera oser ces petits gestes simples qui changent la vie : passer dire bonjour à l’enfant ou à sa famille, même si on ne s’occupe pas de lui ce jour-là ou, pendant les soins, prendre le temps de raconter une petite histoire ou de chanter une chanson.
Après un décès, le psychologue est là pour inviter ceux qui étaient en lien avec l’enfant qui vient de mourir à prendre le temps de mettre en mots ce qui a été vécu. La parole partagée permet de ne pas fixer de souvenirs culpabilisants ou anxiogènes.
Au-delà du soutien ponctuel, en fonction de la situation du service, un travail de fond, dans la durée, auprès des équipes soignantes est indispensable.
Le travail institutionnel
En tant que membre d’une équipe
pluridisciplinaire, le soutien des équipes est une part très importante du travail du psychologue en milieu hospitalier. L’écoute et les échanges (formels ou informels) contribuent à ce que, très lentement, les habitudes et les « mentalités » évoluent, et
garantissent une
cohérence vis-à-vis de l’enfant et de ses parents.
pluridisciplinaire, le soutien des équipes est une part très importante du travail du psychologue en milieu hospitalier. L’écoute et les échanges (formels ou informels) contribuent à ce que, très lentement, les habitudes et les « mentalités » évoluent, et
garantissent une
cohérence vis-à-vis de l’enfant et de ses parents.
Une fois par an, nous prenons aussi le temps de relire les moments forts de l’année, en mettant des mots sur ce qui n’a pas été réussi, ce qui nous a manqué, ce qui nous a marqué, choqué, ou ce qui est resté incompris. Nous veillons aussi à reprendre, point par point, les éléments positifs : rappeler les enfants sauvés, les familles qui remercient et qui continuent à donner de leurs nouvelles. Prendre le temps de remercier les uns et les autres est essentiel pour le maintien de la motivation et de l’investissement de chacun.
Accompagner les autres enfants hospitalisés et leurs familles
Outre l’enfant, sa famille et les soignants, il ne faut pas négliger les autres personnes
impliquées, plus ou moins directement, dans le système.
impliquées, plus ou moins directement, dans le système.
Jean a été hospitalisé pendant trois ans. Il était donc connu de tous et avait créé des liens privilégiés avec certains jeunes hospitalisés. Au cours d’un séjour hospitalier, ces jeunes ou leurs familles observent, perçoivent les tensions et les questions des soignants, et s’interrogent. Pour ces enfants, c’est une charge d’angoisse énorme que de sentir, d’une part, les inquiétudes et les malaises d’une équipe qui ne peut plus guérir et, d’autre part, la réalité de la dégradation du corps de leur ami et de sa mort. Que leur dire à ce moment là ? Il nous semble important de susciter une occasion d’aborder le sujet de la mort en les laissant libres de saisir ou non cette opportunité.
Il est souvent souhaitable d’instaurer un dialogue avec chaque patient concerné par le décès. Mais cela suppose de trouver le bon moment, la « bonne personne », et la façon la plus adéquate de dire les choses. Dans beaucoup d’équipes, personne ne veut annoncer un décès aux autres enfants malades, certains soignants espérant parfois qu’ils ne poseront pas de question. Le psychologue ne connaît pas forcément tous les patients. Il peut en revanche accompagner le soignant qui les connaît bien, afin de le soutenir et le seconder si l’annonce devient trop difficile ou les questions trop délicates pour lui.
Le psychologue, un acteur du système ?
Soutenir des enfants handicapés, malades ou en fin de vie, leur famille, et les soignants qui s’en occupent ne peut se concevoir sans une adaptation de nos pratiques de psychologues. Il nous faut comprendre ce que le patient nous dit, non plus à travers des mots, mais à travers des maux, à travers son corps : une main serrée, un regard, une mimique… Nous devons sentir l’expression non verbale de l’angoisse. Déceler si l’enfant a besoin de silence ou, au contraire, s’il attend nos questions. Enfin, il faut quelquefois, avec une extrême délicatesse et une grande attention, chercher à reformuler ce qu’il nous dit avec des lettres montrées sur un tableau, un hochement de tête ou simplement un regard.
Pour prendre soin des autres, il faut savoir prendre soin de soi. Nous avons tous appris à « faire » et non pas à « être ». Si nous ne savons pas être à l’écoute de nous-mêmes pour nous comprendre, nous prendre en main et devenir à la fois autonomes et responsables, alors nous aurons tendance à attribuer à l’autre la responsabilité de ce que nous vivons. Bien souvent, notre façon d’être est conditionnée par notre capacité à accueillir notre propre impuissance, par ce que les autres attendent de nous, par notre désir de plaire, et cela même lorsque l’on est dans une situation aussi dramatique que celle de l’accompagnement d’une famille dont l’un des enfants va mourir. Or ce n’est que si nous parvenons à être vraiment nous-mêmes, sans nous cacher derrière un rôle, que nous parviendrons le mieux à aider l’autre à être vraiment lui-même à son tour.
Conclusion
Être psychologue dans un service de réanimation pédiatrique, c’est accompagner des enfants dans des contextes pré et/ou post-traumatique, handicapés, gravement malades ou en fin de vie, et accueillir leur vie intérieure (pensées, émotions, sentiments, questionnements spirituels, etc.). Cependant, et nous espérons l’avoir montré au cours de notre réflexion, cela ne suffit pas pour apporter un accompagnement de qualité. La prise en compte de la famille et des soignants, constituant un système « indivisible » dont l’enfant fait partie, est nécessaire pour un accompagnement de qualité, qui s’avérera bénéfique pour le système lui-même. En d’autres termes, écouter la souffrance de l’enfant, celle d’un parent ou encore celle de l’infirmière en charge de l’enfant, permettra un mieux–être de la personne actrice du système, ce qui affectera positivement le système dans son ensemble. Le psychologue pourra ainsi, par
exemple,
travailler à restituer aux parents le rôle dont ils se sentent dépossédés, être attentif aux réactions humaines, ou encore offrir une autre perception de la personne malade.
exemple,
travailler à restituer aux parents le rôle dont ils se sentent dépossédés, être attentif aux réactions humaines, ou encore offrir une autre perception de la personne malade.
Au-delà de ces actions spécifiques, c’est aussi savoir accueillir les émotions, les ressentis, les besoins de chacun des protagonistes pour rétablir la communication là où elle est si importante et si difficile à maintenir. Cette restauration du lien entre enfant, famille et soignants sera garante d’une prise en charge adaptée et de qualité pour chacun.
Bibliographie
Boniface,
R & Pressard, F. (2009). Le respect des liens familiaux :
confidentialité et dialogue dans les relations entre les familles et les
professionnels. Vie sociale et traitements, 2(102), 107-111.
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De Clercq, M. & Lebigot, F.
(2001). Les traumatismes psychiques. Paris : Masson.
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consultations externes à l’accompagnement des personnes : témoignage d’une
pratique en évolution, Le journal du psychologue, Paris : Martin média.
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et pensée : la consultation psychiatrique en chirurgie infantile. Neuropsychiatrie
de l’Enfance, 34(11-12), 485-493.
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Manciaux M. : L’enfant et sa santé : aspects épidémiologiques biologiques et
sociaux. Paris : Doin Editeurs.
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parents, le pédiatre et le psychanalyste. Paris : P. A. U.
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(1998). Psycho-oncologie : Le cancer, le malade et sa famille. Paris : Masson.
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