Article paru dans le journal « Tribune Santé »
L’annonce d’une maladie grave ou chronique est généralement un moment brutal et douloureux. Une fois le choc passé, il faut apprendre à lutter contre ses peurs, savoir s’entourer et se ressourcer pour retrouver de la combativité.
Il n’y a pas de bons mots pour le dire. Katia, 46 ans, a appris, il y a un an, qu’elle était atteinte d’un cancer du sein de stade 3. Aujourd’hui, elle est encore hantée par ce « séisme ». « Sur le moment, j’entendais à peine ce que le médecin disait. Je suis restée bloquée au mot « cancer » et nageais en plein brouillard. La panique m’a envahie, je pensais que c’était impossible, que ça ne pouvait pas m’arriver. » Pourtant, Katia a eu un peu de temps pour se préparer, celui des signes avant-coureurs, des examens, de la biopsie. « Certaines annonces – c’est le cas notamment en réanimation où des décisions doivent être prises très rapidement – se font sur un temps très court et sont donc encore plus traumatisantes », note la psychologue Muriel Derome. « Pour le patient, comme pour l’équipe médicale, c’est compliqué de bien réagir. Dans l’idéal, pour qu’une annonce soit personnalisée, adaptée aux besoins de chaque malade, le médecin devrait prendre le temps d’écouter son patient, prendre connaissance de ses questions, de ses angoisses, de ses représentations avant de lui annoncer quoi que ce soit .» Déni, envie de fuir, colère ou sidération, notre cerveau se protège pour ne plus affronter ces mots d’une brutalité inouïe. Dès le début, le malade a besoin de se décharger sur le plan moral comme médical. L’engagement des soignants à ses côtés est donc essentiel. « Le problème, c’est quand le médecin est trop fatigué, trop touché, ou qu’il a peur d’être pris par l’émotion, il n’est alors plus capable de mettre les formes. Pour se protéger, il « balance » l’annonce avec froideur, comme pour se débarrasser au plus vite d’une tâche trop difficile pour lui . » Ce mécanisme de défense, souvent perçu comme un manque d’empathie, est très mal vécu par le patient et c’est aussi un échec pour le médecin. « C’est pour éviter ces situations qu’il est nécessaire de toujours préparer l’annonce en amont, avec l’équipe, insiste Muriel Derome. Si le médecin est trop submergé, il doit passer le relais à quelqu’un d’autre ou être accompagné d’un collègue soutenant. »
Une acceptation dans la durée
Chez Katia, la colère a pris le dessus. « La fureur m’a envahie, en même temps que le sentiment d’injustice. J’ai toujours pris soin de ma personne, je mange bio, je fais du sport, je ne fume pas… Pourquoi moi ? » Puis est venu le temps de la tristesse, des regrets, de l’impuissance et du manque d’envie. La peur de la solitude et de la souffrance. La jalousie envers les bien-portants. Et finalement, le découragement et le désespoir. « Pour aller vers l’acception, il faut déjà accueillir toutes ces émotions, même les plus difficiles. Ensuite, on est capable de mobiliser ses forces et d’identifier toutes les ressources dont on dispose pour remonter la pente. » L’espoir – quand il est permis – est un élément essentiel pour continuer de mener sa vie malgré les événements. « Une fois la situation acceptée, je me suis rendu compte petit à petit que ma maladie devenait « positive », dans le sens où elle m’obligeait à repenser ma vie autrement. La moindre nouvelle prenait une autre saveur. Les envies naissaient spontanément, comme pour m’obliger à dépasser cette étape et envisager la suite », poursuit Katia. Un paradoxe que confirme Muriel Derome : « Toute annonce, quelle qu’elle soit, doit être porteuse d’un projet de vie. Les mots doivent être bien choisis si l’on veut que la personne se sente compétente pour combattre la maladie. »
Aide concrète et soutien
Pour passer ce cap et accepter d’entrer dans la phase de traitement, il faut déjà comprendre ce qui se joue. Selon Muriel Derome, il est préférable de s’entourer d’un proche lors des rendez-vous médicaux, afin de ne pas être dans l’interprétation. « Le choc fait qu’on n’entend pas bien ce que le médecin nous annonce. » Préparer ses questions à l’avance, noter ce qui est dit. Mais aussi préciser au médecin si l’on est du genre à vouloir tout savoir pour mieux anticiper les étapes ou si, au contraire, on préfère avancer au jour le jour. « Cela aide le médecin à nous proposer une prise en charge adaptée à nos besoins. » L’accompagnement d’un thérapeute sur la durée est évidemment recommandé si l’on sent que l’on perd pied. Mais une famille ou des amis à l’écoute, un lieu (associatif par exemple) où se confier peuvent tout aussi bien nous soulager. « Accepter que les autres prennent soin de nous, c’est se donner des chances d’aller mieux psychologiquement, souligne la spécialiste. A nous de leur donner les clefs pour qu’ils se sentent utiles et aient envie de rester. Si l’on préfère une soupe plutôt que des fleurs, un appel téléphonique plutôt qu’une visite, il faut le dire ! » Ne pas hésiter non plus à rédiger une lettre si les mots manquent, si l’isolement paraît un meilleur refuge dans un premier temps. « Ecrire les bons moments passés avec ses proches, leur adresser une lettre de gratitude, c’est aussi réaliser que la maladie n’atteint pas la capacité à aimer. » L’essentiel est de lâcher prise et d’accueillir ce qui émerge en nous. Ainsi,et non en luttant contre que nous trouverons les ressources pour parvenir à consentir à ce qui est. Retrouver une certaine confiance peut prendre du temps. A chacun d’aller à son rythme pour accepter l’impensable.
Ariane Langlois
Dispositif d’annonce : toujours respecté ?
Depuis 1998, et grâce à la mobilisation de la Ligue contre le Cancer, l’importance de cette étape est officiellement reconnue et a donné lieu à la création d’une « consultation d’annonce » qui s’est généralisée depuis 2006. Aujourd’hui, celle-ci est faite de manière posée et résulte d’une concertation entre l’équipe médicale. Le patient a en outre la possibilité d’être suivi sur le plan psychologique. Cette annonce « dans les règles » – qui n’écarte pas pour autant des propos maladroits – est aujourd’hui respectée partout, estime Muriel Derome. « Il n’y a plus d’annonce entre deux portes, sauf pour des patients qui cherchent à parler au médecin trop rapidement, espérant se rassurer. »
En savoir plus
« Le courage des lucioles », de Muriel Derome (éd. Philippe Rey, 20€).
« L’annonce – Dire la maladie grave », de Martine Ruszniewski et Gil Rabier (éd. Dunod, 20€).
« Cancer du sein – Un médecin à l’épreuve de l’annonce », de Laurent Puyuelo (éd. Erès, 13,50€).