IMPACT
DES SITUATIONS DIFFICILES
SUR
LES SOIGNANTS
Muriel
Derome
Psychologue clinicienne
en réanimation pédiatrique à l’hôpital
Raymond Poincaré
Expert près la cours d’Appel de
Versailles
Celine d’Harcourt Psychologue
Chantal Pons Le Mintier Psychologue
Etre
exposé à des situations difficiles telle que la maladie incurable ou la
dégradation de l’état de santé d’un enfant, pouvant aller jusqu’à sa perte
totale d’autonomie ou sa mort, est un événement qui engendre généralement une
grande souffrance. Le corps, l’intellect, la vie affective et sociale, les
repères spirituels dans la vie privée comme dans la vie professionnelle en
seront forcément impactés mais de manière différente selon les individus, leurs
histoires, leurs sensibilités, leurs croyances et leurs ressources…
L’équipe
paramédicale est au plus près du malade. Elle connait très bien les patients et
leurs familles, au point d’être parfois dans une trop grande proximité
émotionnelle. Les soignants

éprouvent un sentiment d’impuissance devant l’enfant et ses parents et ont peur
que cela n’affecte leurs capacités à prendre soin du malade.
L’angoisse parentale intensifie leurs sentiments de détresse et de doute. Ils
se sentent parfois très seuls et en plein désarroi.
Pour éviter de s’effondrer, ils doivent trouver une juste
proximité, celle qui permet de soigner, de rester attentif à l’autre, sans
banaliser la souffrance.
Cela
leur permet de
garder un regard neuf
sur chaque expérience individuelle.
I.       Avant, pendant et après une situation
difficile
1.    Avant l’évènement douloureux :
a)  
 Les peurs
Les soignants ont souvent peur de ne pas arriver à gérer les
situations les plus difficiles. Voici quelques unes des peurs les plus souvent
rencontrées :
·        
Peur
de mal faire :
Certains
soignants ont peur que, sur le moment, leurs émotions n’altèrent leur capacité
à prodiguer correctement les soins.
Ils appréhendent de voir leurs mains trembler, mais très rares
sont ceux qui n’ont pas réussi à mobiliser leurs capacités pour un enfant
qu’ils savaient gravement malade.
·        
Peur
de ne pas trouver les mots justes :
Face aux
familles, les soignants ont peur d’être interrogés et de devoir expliquer ce
qu’ont dit les médecins.
Ainsi cette maman qui
demande à la jeune infirmière : « 
Le médecin nous a parlé de soins palliatifs.
Je n’ai pas compris ce que ça veut dire. Il a voulu dire quoi en parlant de
« soins palliatifs ? » Normalement, ce n’est pas un truc pour les vieux
».
Ils craignent aussi
de «  gaffer » en donnant une information que l’enfant
ou ses parents ne connaissent pas encore.
·        
Peur
de la contagion émotionnelle :
Les
soignants ont peur de ne pas savoir « gérer » la souffrance ou la détresse
de l’enfant ou de sa famille.
Certains craignent de ne plus être capable de conserver une
distance entre eux et autrui et d’éprouver le même état affectif que les
parents ou l’enfant qui viennent d’apprendre une mauvaise nouvelle.
D’autres redoutent qu’à travers leur envie de pleurer, leur
façon d’être ou de parler, ils trahissent quelque chose des préoccupations médicales.
b)   
Les besoins des soignants avant
l’événement
Respecter les besoins des soignants
peut permettre à ceux-ci de ne plus être sous l’emprise de leurs peurs. De
quels besoins s’agit-il ?
Ø  Besoin
que l’information circule
L’équipe est toujours mal à l’aise tant
que le diagnostic n’a pas été annoncé aux parents. Une fois la situation
formulée et expliquée aux parents par un médecin, l’attitude des soignants
change. Ils ne fuient plus les questions, ce qui leur permet d’être plus
ouverts et de mieux écouter la souffrance de l’enfant et de sa famille. De
plus, une mauvaise information sur la situation du patient telle que la perçoit
le médecin rend les soignants moins efficaces dans leurs soins, moins adaptés,
et risque de provoquer chez eux une perte du sens de leur travail.
Pour des raisons diverses,
il peut arriver que certains médecins refusent d’annoncer aux équipes un
pronostic. Heureusement cela reste exceptionnel et peut être inconscient :
parce qu’ils ne parviennent pas eux-mêmes à l’accepter, parce qu’ils le vivent
comme un échec personnel ou encore parce qu’ils ne veulent pas se trouver
confrontés à la tristesse, à la déception ou au découragement des équipes.
Ainsi, incapables de reconnaître qu’un enfant est en fin de vie, ils vont faire
comme si les traitements pouvaient encore le guérir. Au lieu de passer à des
soins palliatifs, ils vont demander à leur équipe de rester dans des soins très
lourds et douloureux. Une infirmière ou un kinésithérapeute peut accepter de faire
souffrir un enfant quand il s’agit de lui donner une chance de s’en sortir.
Mais lorsqu’un enfant décède dans les bras d’un soignant non prévenu,
l’empreinte de la douleur de ce moment est presque indélébile. Le soin est
alors éprouvé comme mortifère. L’absence d’information amplifie le drame vécu
par les soignants.
Ø 
Besoin de renvoyer vers le médecin
            Quand
les familles ou l’enfant malade commence à poser trop de questions, les
soignants, afin de ne pas être confrontés aux réactions des familles,
n’hésitent pas à les renvoyer vers le medecin. Cette attitude est
compréhensible mais il arrive parfois que ce ne soit pas un hasard si les
questions ne sont pas posées à la personne qui peut y répondre. Cela signifie
que ce n’est pas la réponse qui est recherchée mais l’écoute. Il arrive qu’un
patient ou son parent cherche juste à ce qu’on l’aide à réfléchir, c’est le
besoin d’être compris qui prime sur celui de comprendre.
2.    Face à l’événement douloureux
a)   
Mécanismes
de protection des soignants face aux situations difficiles
Pour lutter contre les
angoisses face à des situations difficiles, les soignants mettent en place un
ensemble de mécanismes de protection.
En voici quelques exemples non exhaustifs :
·        
La mise à distance
Certains soignants
cherchent avant tout à ne pas se laisser envahir par l’émotion des parents en
s’investissant le moins possible affectivement. Ils se sentent protégés en
entretenant une certaine distance
entre eux et les familles. Le soignant n’utilise que des termes inconnus par
les parents, pour éviter d’être confronté à l’émotion et à la détresse des
parents ou du patient.
·        
Agressivité, colère
n’est-ce pas plutôt déplacement ?
  Les soignants ne pouvant pas exprimer leur colère envers l’enfant
ou sa famille, ils déplacent leur colère ou leur agressivité sur leurs
collègues ou… sur un autre enfant.
La peur et les mécanismes de défense
chez les soignants sont en lien avec des besoins bien spécifiques, comme nous
allons le voir maintenant.
b)   
Les besoins des soignants sur le moment
·        
Besoin de confiance
Les soignants ont besoin,
particulièrement dans les moments les plus difficiles, que l’information circule,
que la gravité de la situation soit dite clairement. Si les choses ne sont pas
claires l’infirmière peut penser que le médecin ne la juge pas digne de
partager un secret professionnel ou qu’il estime son avis sans intérêt pour
l’approche du malade. Cela déteint sur l’ambiance et le climat du soin porté au
patient, qui en souffre ainsi que sa famille.
·        
Besoin
de calme
Plus il y a urgence vitale, plus les
gestes doivent être précis, il est donc nécessaire que l’ensemble de l’équipe
soignante ne s’énerve pas.
·        
Besoin d’être en accord avec sa propre
éthique et celle du service
Il est important que chaque soignant
soit en accord avec l’équipe et avec lui-même. Ainsi, un soignant qui est
fortement opposé à toute forme d’euthanasie ne pourra pas mettre toute son
énergie dans un service qui provoque la mort ; ou un soignant qui serait
très opposé à l’avortement, ne pourra pas s’épanouir dans un service qui lui
demanderait d’en faire. Chaque cas étant singulier, chaque enfant et chaque
famille unique, un travail psychologique est à chaque fois nécessaire, sur le
plan personnel et professionnel, pour accepter la situation telle qu’elle est.
Les parents, percevant le cheminement des soignants, parviendront eux aussi
progressivement à changer leur regard sur leur enfant. Ils pourront alors
accompagner différemment celui-ci. En modifiant ou en adaptant progressivement
leurs projets d’avenir, ils deviendront plus attentifs à l’instant présent.
·        
Besoin
d’une proximité ajustée
Notre
démarche n’est pas d’inciter à l’évitement mais au contraire d’inviter les
soignants à oser s’attacher mieux, pour mieux se détacher. Ainsi en témoigne
Guillaume, Costa médecin en réanimation pédiatrique : « Il y a beaucoup d’émotions en jeu, on ressent de la tristesse, de
l’angoisse … il faut trouver le juste milieu, la bonne distance avec ces choses
là. Il faut être touché, je pense, mais pas envahit. C’est un travail de tous
les jours ». 
En
effet, pour que des soignants puissent surmonter sans trop de séquelles la
confrontation répétée à la maladie grave et à la mort, il est nécessaire que
chacun puisse être attentif à soi-même, à ses propres besoins, pour être dans
un juste rapport à l’autre. Parfois,
ce sera simplement faire respecter ses horaires de travail et passer le relais
à l’équipe suivante, ou accorderun temps d’arrêt, de deuil, juste après la
toilette mortuaire. D’autre fois, au contraire, ce sera oser ces petits gestes
tout simples qui changent la vie : passer dire bonjour à l’enfant ou à sa
famille, même si on ne s’occupe pas de lui ce jour-là ou, pendant les soins, prendre le temps de raconter une
petite histoire ou de chanter une chanson, ou simplement d’agir avec une
infinie douceur.
1.   
Dans l’après coup :
Pour les soignants, certaines situations peuvent
rester inoubliables. Seule la possibilité de reparler de ce qui a été vécu
permettra de mieux comprendre et d’assimiler ce qui est de l’ordre de
l’inacceptable. Ainsi, dans notre service, avant l’arrivée d’une psychologue en
réanimation, certains soignants sont restés plus de cinq ans sans pouvoir
évoquer un décès. Ils n’avaient jamais eu l’occasion d’en reparler, même avec
leurs proches. L’intensité de leur émotion était encore intacte et il leur aura
fallu des réunions sur ce thème pour pouvoir l’évoquer. C’est pour cela qu’il
est utile de proposer, au moins ponctuellement, des temps d’échanges.
Cela permet à ceux qui le désirent de reprendre ce qu’ils ont vécu, d’analyser
la situation, de prendre de la distance. Il s’agit aussi de retenir ce qui
s’est bien passé
ou ce qu’on a appris à partir de nos erreurs ou maladresse
et qu’il ne faudrait pas recommencer. D’autre part, ces échanges permettent aux
soignants de savoir qu’ils peuvent être soutenus et écoutés même très longtemps
après un décès.
Certains
regrets nous « rongent » très longtemps. Certains soignants souffrent
pendant des années de ne pas avoir pu dire au revoir à des parents dont
l’enfant est décédé. Ainsi Nathalie, jeune interne, n’imaginait pas pouvoir
écrire à une famille quatre ou cinq ans après le décès de leur enfant. Or, dès
qu’elle a osé prendre quelques minutes pour dire à ces parents qu’elle n’avait jamais oublié leur fils, elle s’est sentie
apaisée et elle a pu clore cette histoire. Quelques jours plus tard, les
parents, extrêmement touchés que d’autres puissent encore penser à leur enfant,
l’ont chaleureusement remerciée.
Après une situation très difficile ou un décès dans
un service, il est souhaitable que chaque soignant puisse prendre le temps de
s’asseoir, seul ou en équipe, pour mettre des mots, au moins pour soi-même, sur
ce qui a été vécu. Se poser et dire ce qui s’est passé est capital pour
enclencher un travail de deuil ou de reconstitution.
Les prises en charge d’enfants dans des situations
difficiles ne sont jamais complètement satisfaisantes.
C’est un domaine dans lequel nous
ne cessons d’apprendre. Il s’agit alors d’identifier
et d’accueillir, même à posteriori, ce qui a été vécu c’est à dire :
                
les faits : « à ce moment-là, je me suis vu prendre son
traitement et lui donner comme si de rien n’était …
 »
                
les
pensées
 :
« je ne pensais vraiment pas qu’il
allait mourir …
 »
                
les
sensations :
envie de
pleurer, mal de gorge, de dos ou de ventre, migraines…
                
les
sentiments et émotions :
peur, fierté, déception, surprise, dégoût, culpabilité, honte ? « J’aurais dû, j’aurais  pu… »
                
les
besoins :
de
pleurer, de crier, de recul, de solitude, d’être pris dans les bras, de prendre
dans les bras, d’être aimé, d’aimer, de se sentir valable à ses propres yeux ou
aux yeux des autres, de se sentir efficace, performant, besoin de
reconnaissance, d’estime, de sentir qu’on appartient à l’équipe…
                  
                   Ensuite, il s’agit d’essayer de comprendre pourquoi tel ou tel aspect nous a davantage touché. Si nous
sommes
capables
de reconnaître et de nommer ce que nous avons eu à vivre, ce qui a été touché
en nous, si nous réussissons à comprendre quels besoins n’ont pas été pris en
compte, alors nous serons moins sous l’emprise de nos émotions et nous serons davantage
acteur de notre propre histoire.
A
la suite de ces réunions, chaque soignant peut inventer son propre rituel pour
l’aider à vivre son deuil en tant que soignant. Ainsi l’un d’entre eux
raconte : « Chaque année en
novembre, puisque c’est le moment où la nature et les hommes nous font penser
aux morts, je me fais une petite cérémonie. Je me suis inventé quelque chose
qui me correspond : je m’assois, j’allume une bougie, je regarde la flamme
et je me pose vraiment. Là, je laisse remonter les souvenirs. Je repense à tous
les enfants, à toutes les familles que j’ai accompagnées en fin de vie.
Certains s’imposent par le côté traumatique de leur mort, d’autres ont laissé
une trace plus discrète ou plus sentimentale… Je note leur nom sur un papier
et quand je me sens prête, je sors ! Là, je vais ramasser des
cailloux ! Quand je suis au bord de la mer, je prends des galets, c’est
encore mieux !! Plus j’ai de peine, plus je choisis un gros caillou ou un
gros galet ! Et j’en mets dans mes poches autant que d’enfants que j’ai
accompagné… Lorsque les deux poches de mon manteau sont bien pleines, je
marche un moment avec les 10 ou 12 galets. C’est lourd ! Je prends le
temps de sentir combien c’est lourd et difficile de marcher avec tout ça en
poche. Et puis ensuite, après avoir été longtemps dans mes sensations, je
réalise que je porte une peine qui ne m’appartient pas. C’est vrai, ce ne sont
pas mes enfants ! Alors, je décide de me libérer de ce poids trop lourd à
porter pour moi et, petit à petit je les redépose si possible sur la plage ou
dans la forêt. J’aime les confier à la mer… ça m’aide à m’en libérer. Je
confie aussi toutes les familles… Et ensuite, ça peut paraître idiot mais je
me sens mille fois plus légère… et prête à accompagner d’autres enfants,
d’autres familles… d’autres vies…
 »

II. Lorsque nous sommes confrontés à une situation difficile, tout
notre être est impacté.

1.      Au niveau intellectuel
Pendant
les évènements difficiles, les médecins éprouvent, grâce à l’adrénaline, une
sensation de plus grande acuité. Ainsi le Dr Guillaume Costa : « Pendant la situation, l’intellect est
préservé. C’est un phénomène de clivage : c’est la médecine en priorité. Tout
est clair, il faut que ça avance. Avec l’adrénaline, ça fonctionne mieux ».
Dans
l’après-coup, les infirmière et aides-soignantes, ont la sensation qu’à la longue, cela les pénalise, comme si toute
l’énergie qu’elles mettent pour oublier les situations difficiles, entrainaient dans l’après-coup, des oublis beaucoup
plus larges. Beaucoup racontent combien en sortant de prises en charge
particulièrement traumatiques, elles se sentent ralentis, ont du mal à
réfléchir, à se concentrer. Beaucoup témoignent de leurs impressions de ne plus
avoir de mémoire, de tout oublier, de ne plus savoir où sont leurs affaires ou quand
ont lieu leurs rendez-vous.
2.     
Sur le
plan corporel
Le
corps peut être le premier lieu
impacté. Une situation particulièrement difficile nous oblige à mettre nos
besoins corporels entre parenthèse. Même des besoins aussi essentiels tel que
la soif, la faim, le besoin d’uriner sont ignorés. Le besoin de repos, les
douleurs (lombaires ou autres) sont occultés. En sortant du service, il faut
souvent un certain temps pour que le soignant « réintègre » son
corps. Il réalise alors qu’il n’a pas eu le temps de manger ou qu’il n’a pas
fermé son manteau alors qu’il pleut des cordes.
Certains soignants
prennent conscience qu’ils ont besoin, après un accompagnement difficile, d’un
moment pour se retrouver. Ils expliquent ainsi :
« 
Quand
je sors d’une prise en charge très difficile, j’ai l’impression que je voudrais
redevenir un tout petit enfant
 »
ou « J’ai besoin d’être seule, de
me mettre sous ma couette dans la position du fœtus
 » ou « Je veux juste que mon chéri me prenne dans
ses bras et me caresse les cheveux, comme le faisait ma maman quand j’étais
petite.
 » 
Il arrive aussi que les
soignants rencontrent des difficultés non pas dans l’après-coup mais bien plus
tard. C’est ce que nous nommerons l’effet « boomerang ». Le soignant à la
sensation immédiate d’avoir très bien géré la situation, il en ressort avec une
certaine sensation de fierté de l’ordre du « même pas mal » des
enfants. Mais quelques semaines ou mois plus tard, alors qu’il ne s’y attend
plus du tout, un élément anodin
vient lui rappeler la situation dramatiques vécues quelques semaines plus tôt
et les émotions ressenties à ce moment-là.
Ainsi Julie,
infirmière,
s’est occupée de Killian pendant
deux ans. A cause de tout ce qu’elle
avait à faire, pour rester professionnelle et ne pas s’attacher à lui, elle a
maintenu une certaine distance entre eux. Sous
prétexte de lui demander de remettre son CD, Killian demandait sans cesse à
Julie de venir le voir. Elle avait tellement peur de s’attacher
à lui qu’elle avait instauré le
plus de distance possible.
Elle a donc refusé à plusieurs reprises de
remettre le CD, en expliquant à Killian qu’elle avait beaucoup à faire et
qu’elle ne pouvait pas passer tout son temps avec lui. Killian va de plus en
plus mal, appelle de moins en moins puis décède. Julie ayant l’habitude
d’accompagner les enfants en fin de vie, ne prend pas
le temps de s’arrêter, continue et trouve que, finalement, cela ne lui fait
presque rien. Elle a juste un peu mal au dos mais n’y prête aucune attention
particulière. Plusieurs semaines s’écoulent sans que rien n’amène Julie à
repenser à Killian.
Mais un jour, alors qu’elle est en train de faire ses courses, elle
entend cette musique que Killian lui réclamait tant. A ce moment-là, sa vie
professionnelle fait irruption dans sa vie privée. Elle a les larmes aux yeux
et de fortes douleurs réapparaissent dans son dos…
Beaucoup de soignants reconnaissent
qu’ils ne savent pas prendre soin d’eux ni comment se ressourcer. Si on ne
s’écoute pas assez, notre corps nous envoie des signaux pour nous signaler que
nous sommes en souffrance. Les soignant avouent, tout honteux, les désordres
physiques qu’ils rencontrent : manifestations psychosomatiques (fatigue, mal de
tête, de dos, de ventre, stérilité psychologique, etc.) ou tout simplement
incapacité à lâcher prise, particulièrement marquante dans la relation
amoureuse et sexuelle.
Certains
soignants, en sortant de situation particulièrement dramatique, ont besoin de
se sentir vivant, ils ont alors absolument besoin de jouir, mais il s’agit bien
souvent d’une sexualité de décharge, sans lien réel à l’autre. Il s’agit alors
juste d’un remède anti-stress pour les aider à se libérer de toutes les
tensions accumulées.
A
d’autres moments, ou pour d’autres soignants, c’est l’inverse. Il est difficile
de ressentir du plaisir après une journée où le corps a beaucoup porté et vécu.
Ainsi Tiphaine, infirmière,
témoigne :
« Au début,
avec mon copain, quand j’avais eu une journée très difficile, je le lui disais.
Alors, tout s’arrêtait. On ne parlait plus que de moi, il voulait que je lui
raconte les détails de ma journée et en même temps, je sentais bien qu’il ne
comprenait pas. Il était choqué par certains détails où me disait ce que
j’aurais dû dire ou faire, alors que moi, je n’avais pas su… Au bout, d’un
moment, il y avait tellement souvent des choses extrêmes qu’il a commencé à
trouver que ça suffisait, qu’il avait lui aussi des problèmes et que je n’étais
pas assez attentive à lui. Alors, j’ai eu tellement peur de le perdre que j’ai
arrêté de lui raconter mes journées…Pour tout vous dire, je vis souvent les
relations sexuelles comme un autre défi à relever. Je me dis : tu as
réussi à regarder la souffrance ou même la mort en face, tu peux bien
accueillir le plaisir. Mais ça ne marche pas… Je n’arrive pas à m’abandonner…
Je suis dans le contrôle… Je sais que je dois apprendre à lâcher prise mais
je n’y arrive pas… Je ne peux en parler à personne mais c’est vraiment
lourd… Je ne sais pas comment vous expliquer… : quand il caresse mon
épaule, il me semble que je sens encore le poids de la mère s’effondrant dans
mes bras. Quand il caresse mes bras, c’est le souvenir du petit être mort que
j’ai porté dans mes bras qui revient. Quand il me dit que je sens bon, je pense
à la tonne de parfum que j’ai eu besoin de mettre après ma douche pour éloigner
de moi le souvenir de l’odeur de la mort… J’essaie d’être avec lui mais je
n’y arrive pas… je réussis juste à lui faire croire que je suis contente et à
le rendre heureux ! Et je m’endors épuisée en me disant : c’est pas si mal,
j’ai accompli un exploit de plus dans ma journée. C’est quand ce deuxième
exploit est terminé que je peux m’endormir sereine avec la conscience du devoir
accompl
i… Mais, ce qui est compliqué…
c’est que… la nuit, pas toutes les nuits mais assez souvent, surtout quand,
dans le service, on a beaucoup d’enfants dans des états très critiques… je
rêve qu’on a besoin de moi. J’entends mon bip sonner, j’ai vraiment la
sensation de l’avoir entendu. Ça me réveille en sursaut ! Et, une fois
debout, je m’aperçois que c’est la nuit… et que je peux me rendormir… c’est
si bon de pouvoir dormir…
».
3.     
Sur le
plan affectif et relationnel
                     
Nos
proches, trop inquiet pour nous, ne peuvent souvent pas entendre les drames
auxquels nous sommes confrontés
Beaucoup
ont expérimenté la tristesse de ne pas se sentir compris par leur entourage. Il
est difficile de raconter les évènements douloureux à ses proches. D’une part,
parce qu’ils ne comprennent pas vraiment la situation ; d’autre part, parce que
là ou nous aimerions trouver une écoute et de la compréhension, eux s’inquiètent
pour nous et cherchent à nous proposer des solutions.
Nous devons bien souvent faire le deuil d’une totale compréhension
par nos proches, ce qui rend primordiale les échanges avec ceux qui vivent les
mêmes situations.
Les
proches, de leurs cotés, peuvent avoir la sensation d’être tenu à l’écart,
d’avoir moins d’importance que notre travail. Ils perçoivent parfois que l’on a
vécu avec nos collègues des « choses » fortes qui nous ont fait
expérimenter une grande proximité émotionnelle que l’on ne peut pas partager
avec eux. Il arrive qu’un certain malaise ou une certaine jalousie en découle
et risque de nous éloigner d’eux. Nous avons donc à comprendre que cette émotion
partagée est bien différente de celle que nous pouvons vivre avec ceux que nous
aimons et qu’elle n’enlève rien à celle que nous éprouvons pour ceux avec qui
nous vivons.
La période des vacances,
peut-aussi être compliquée.. A
près avoir
vécu plusieurs semaines à un rythme de travail très
intense, le ralentissement entraîne souvent un contrecoup dont il faut se
méfier. La gravité et l’ampleur de ce qui a été touché sur le plan affectif ne
se révèle souvent que lorsque tout est terminé. La tension permanente imposée
par l’attention qu’impose la prise en charge d’un enfant dans une situation
particulièrement difficile
peut empêcher certains soignants de mesurer
ce qui est réellement touché en eux. Ainsi le corps,
qui avait su se faire oublier pendant que le soignant était dans le feu de
l’action, devient souvent douloureux dans l’après-coup. Cette réaction en
décalée peut être difficile à comprendre pour les proches
(famille ou
autres soignants de l’équipe) qui ont veillé à être attentifs lors du drame et ne comprennent pas que ce
soit au moment où tout est terminé et que le calme est revenu, que la colère,
la tristesse, l’apathie, le manque d’énergie ou d’envie apparaissent[1].
Souvent les soignants n’osent pas dire ce qu’ils ressassent, ou leurs pensées,
et encore moins leurs émotions. Ils ne parlent bien souvent que de douleur
physique comme prétexte à leur manque d’entrain. Certains,
au contraire, se plongent dans une hyperactivité ménagère ou autre pour
faire taire leur mal être qui leur semble souvent indicible et inavouable. Ne
leurs a-t-on pas répété mille et une fois durant leurs études qu’il ne faut pas
s’attacher et rester professionnel ? Puisque ce sont eux qui ont fait une
erreur, ils n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes ! Or cet interdit de
s’attacher complique les relations humaines et donne
l’impression qu’il est demandé aux
soignants d’agir comme des robots. Au contraire, proposer aux soignants de
mieux s’attacher,
c’est-à-dire sans trop de distance mais aussi sans
froideur, pour pouvoir ensuite ne rien regretter, les libère et les aide à y
voir plus clair.
                     
Parfois
en décalage avec le reste du monde :
La
confrontation régulière à des situations extrêmes entraine chez certains
soignants un sentiment de décalage, une impression de ne pas tout à fait
appartenir au même monde que les autres. Alors que certains médecins, réussissent
à s’investir en dehors de leur travail, dans des mouvements associatifs ou
politiques, beaucoup d’infirmiers ou d’aides-soignants s’en disent incapables
tant ils ont mis toute leur énergie dans le service.
4.     
Sur le
plan psychologique :
Savoir
se poser, s’arrêter, prendre du temps pour entrer en contact avec sa dimension
intérieure et se ressourcer est souvent très difficile pour les soignants. De
nombreux soignants sont venus me confier leur inquiétude quant à leurs
réactions pendant les vacances : à chaque fois, après une période
d’émerveillement, au bout de quelques jours, ils se sentent mal
psychologiquement : « Le premier jour tout va bien, j’installe tout,
je range tout. Le deuxième, c’est l’euphorie je savoure l’incroyable bonheur
d’être en vacances, je pars à la découverte des lieux mais le troisième jour…
systématiquement, où que je sois, même dans des endroits paradisiaques et avec
des proches adorables, je m’effondre. J’ai envie de pleurer ou… je pleure. J’ai
envie d’appeler le boulot pour savoir comment va tel ou tel enfant. Je me sens
mal, inquiète. Je repense à tout ce que j’aurais dû faire ou dire et que je
n’ai pas fait. Je me sens nulle, tellement nulle… Je deviens agressive envers
mes proches avec la sensation qu’ils ne comprennent rien à rien. Ce jour-là,
faut pas me chercher ! »
5.     
 Sur le plan matériel
Beaucoup
de soignants témoignent d’un certain détachement par rapport au matériel, alors
que d’autres au contraire y voit une façon de contrôler le monde et surtout de
remettre en ordre leur désordre intérieur. Ceux là trouvent que se concentrer
sur les tâches ménagères, sur des choses simples peut aider à passer à autre
chose.
Ainsi
Flavie, une aide-soignante depuis 17 ans dans un service de pédiatrie témoigne « Je suis depuis plus de 20 ans,
régulièrement confrontée à des situations difficiles, voir extrême. Je me
souviens de l’accompagnement de fin vie d’un grand adolescent. Il avait eu un accident
avec sa tante. Au moment de son dernier souffle, la tante s’est allongée par
terre et s’est mise à hurler plusieurs fois de suite : « pourquoi tu
m’as fait ça ? ». Ses paroles et sa détresse sont restées gravées
dans ma tête et m’ont accompagné une bonne partie de la soirée et de la nuit.
Le réveil a été compliqué mais j’ai pu passer à autre chose car j’avais mes
enfants à réveiller et à accompagner à l’école. Ce sont eux qui m’ont donnée de
l’énergie pour recommencer une nouvelle journée. Quelques jours après, je suis
allée à la levée du corps. Quand il s’agit d’un enfant, c’est toujours unmoment
compliqué. Je revois encore la détresse de cette tante et de la maman du jeune
homme qui la soutenait en essayant de ne pas s’effondrer. En rentrant chez moi,
j’ai eu du mal à évacuer cette tension. Il faisait nuit et je me suis mis au
nettoyage des carreaux de ma chambre, grâce à ça j’ai pu évacuer toute la
tension de la journée. Après, j’étais bien, j’étais apaisée. J’ai passé une
bonne nuit
 ».
6.        
Sur le plan spirituel, du
rapport à l’invisible, à notre vie intérieur
Certains
croient en la réincarnation, d’autre au paradis mais tous essayent de penser
que ces enfants un peu extraordinaire sont comme sélectionnés pour un ailleurs
forcement meilleur. Certains soignants même lorsqu’ils n’ont pas de religion et
qu’ils se disent non croyant, ont des représentations spirituelles de la
situation. Ils racontent par exemple que des esprits les accompagnent : l’esprit
des enfants mort quelques jours plus tôt qui restent à leur côté pour veiller
sur eux un moment avant de partir vivre leur « vie » de mort.
Chantal
Gavignet,
aide soignante, raconte : « Il y a 12 ans, j’ai eu à gérer la pire
des situations  et je l’ai très mal vécu.
Il y a eu  trois décès dans la nuit. J’ai beaucoup pleuré et j’ai pas réussi
à dormir en rentrant. A ce moment- là, j’ai tout remis en question et, pendant
très longtemps, je me suis dit que je devais arrêter mon travail. Le soir suivant,
j’ai dû me faire violence pour avoir le sourire mais le Dr Bataille m’a
beaucoup aidé.  On n’oublie jamais une
nuit pareille, je m’en rappelle encore : tout est presque intacte dans ma
mémoire. On s’en sert pour avancer. Mon corps aussi à réagi, je dormais moins
ou mon sommeil était moins récupérateur. Je n’avais plus envie de manger, cela
n’avait plus d’importance. C est vrai que quand il y a des difficultés, je
garde tout pour moi. Je ne raconte pas. J’essaye juste de me vider la
tête.  Je fais le marché puis le ménage à
fond. Je fais aussi de la broderie,  cela
m’apaise et me permet oublier  cette année là. Beaucoup de mes collègues
n’ont pas compris mes pleures. J’ai appris avec le temps à mettre toute seule
en place des boucliers pour me préserver, ne pas mélanger travail et vie
privée : respirer, donner aux autres, faire du bien autour de moi. Dans
les situations difficiles, on se raccroche à ce qu’on peut, je suis croyante et
dans ces moments-là, je prie… Après la mort de la petite Myriam, toutes les
nuits à la même heure, l’eau se mettait à couler. Et, nous, avec mon binôme, on
sentait que son esprit était encore là. Elle venait nous dire qu’elle veillait
sur nous. Ça a duré assez longtemps puis, un jour, ça s’est arrêté, alors on
lui a dit : t’inquiètes pas Myriam, tu peux y aller, on veillera l’une sur
l’autre. »

III. Quelques points forts à garder en
mémoire

Accompagner un enfant extrêmement
fragile ou en fin de vie implique toute une équipe,
notamment dans une réorganisation du travail en
lien avec le cadre infirmier. Il est souhaitable que chacun des membres de
l’équipe aide et soutienne le soignant investi par l’enfant ou sa famille à
être dans une qualité de soins jusqu’au bout.
  Bien souvent, les situations les plus lourdes sont celles où
l’enfant ne sera plus celui qu’il était avant. Il mourra ou vivra mais n’aura
plus les capacités qu’il avait avant. Les équipes ont donc un deuil à faire,
celui de ne pas avoir réussi à guérir ou à rendre l’enfant dans le même état
qu’avant. Le deuil des soignants n’est bien entendu pas comparable à ce que les
familles ont à vivre. Il s’agit néanmoins d’un travail qui se situe autour de
trois axes :
Faire le deuil de l’enfant dont ils se sont occupés durant
plusieurs jours, semaines, mois ou années. La perte de chaque patient en ravive
une autre, rencontrée précédemment, et renvoie aux autres deuils que nous avons
eus à vivre dans notre vie professionnelle ou privée.
Faire le deuil d’une famille auprès de laquelle ils ont passé
plusieurs heures à se battre dans une perspective commune.
– Mais aussi faire le deuil d’une responsabilité qui
les valorisait et les rendait aux yeux de tous « extraordinaires ».
Abandonner cette position qui était stimulante n’est pas toujours simple :
le soignant n’étant plus au cœur des préoccupations du service, il peut avoir
la sensation de ne plus être « sous la lumière des projecteurs » ou
avo
ir le sentiment d’avoir perdu du
pouvoir ou de l’intérêt. Un manque de reconnaissance peut aussi naitre à ce
moment-là, avec la sensation que les collègues n’ont pas réalisé à quel point
ça a été difficile pour eux.
CONCLUSION
Chacun a des rythmes : des rythmes biologiques, « veille-sommeil »,
mais aussi des rythmes psychologiqu
es, « engagement-désengagement », c’est-à-dire qu’il
y a un temps pour chaque chose : un
temps pour être tourné vers les autres
, travailler de façon très intense,
mettre toute son énergie pour sauver des vies ou soutenir des familles et
ensuite un temps pour être seul, se
reposer, s’arrêter, se relier à soi-même, se ressourcer… De plus, chacun a des
moments d’énergie et des moments d’épuisement, des moments de foi et des
moments de doute (sur son travail, le monde ou soi-même). Il y a un temps pour
donner, un autre pour recevoir… Chacun a besoin de rythmes et d’alternances, s’autoriser
ces alternances est essentiel à notre équilibre
.
Se
poser permet d’écouter ce qui se vit au plus intime de nous-mêmes, nos soifs
profondes, nos besoins, nos manques, nos aspirations personnelles et
professionnelles. Réfléchir à ce qui est essentiel pour nous, nous aide à
identifier nos priorités et à prendre soin de nous.
Et en comblant ces
besoins-là, nous nous préparons à mieux prendre soin des autres.
C’est parfois très difficile pour certains d’entre
nous de dire non, mais cela s’apprend. Lorsque nous parvenons à le faire sans
culpabilité, cela donne une grande liberté et rend beaucoup plus disponible
pour les autres. 



TEMOIGNAGES
RECUEILLIS
QUAND JE SUIS CONFRONTEE A UNE SITUATION
DIFFICILE…
Témoignage d’un médecin réanimateur
Docteur Bataille
Cela impact mes capacités intellectuelles :
  Lorsque je suis confronté à une situation
difficile, cela me stimule et augmente le rendement de mes capacités
intellectuelles, y compris dans d’autres domaines de ma vie. Le fait de devoir
faire face à une situation difficile agit pour moi comme un puissant stimulant
intellectuel qui se propage à toutes les sphères de ma vie. Par exemple, je
suis pianiste, et bien dans ces moments, je joue mieux, je suis plus agile. Je
pratique également beaucoup la course à pied et dans ces moments-là, je vais
alors réfléchir énormément et avoir de meilleures capacités de concentration,
c’est un peu comme si « toutes les lumières étaient allumées »…
 
Cela impact mon corps :
  Au niveau sportif, j’ai besoin de pratiquer
une activité sportive régulière. Je monte à cheval, je fais de la course à pied
ainsi que de la course de fond…
  Au niveau de ma santé, j’ai fait une leucémie
il y a quelques temps. Je pense avoir été exposé à des rayons à un moment et
bien que les cancérologues disent que cela n’a pas de lien, je reste persuadé
que cela n’a pas été neutre…
Au niveau de mon
sommeil, je suis habitué à dormir partout. Si je ne suis pas responsable je ne
me réveille pas. Cela est sans doute une grande force…
Au niveau de ma
sexualité, il est indéniable que toutes les situations de stress ont eu pour
effet d’augmenter ma libido et par conséquent ma sexualité…
  En revanche je dois admettre que je délaisse
complètement mon corps. C’est une vraie misère physiologique…Avec la blouse on
ne fait pas attention et je me rends compte que je deviens comme cela aussi à
l’extérieur…sans doute par lassitude…Par exemple je me suis fait enlever plein
de dents, et bien cela m’est totalement égal…
  Au niveau de mon alimentation, j’ai eu une période
où je ne faisais absolument pas attention. Je mangeais tout le temps avec les
infirmières et n’importe comment alors bien sur je grossissais. Si vous ne
faites pas attention lorsque vous travaillez dans un tel service, vous mangez
n’importe comment : en horaire décalé, vous avez faim, vous mangez n’importe
quand, vous mangez au lieu de dormir ou vous ne mangez pas.
Cela impact mon rapport à la société :
  J’ai toujours eu envie de m’investir ou
d’avoir des engagements associatifs. Lors de la guerre du Kosovo, j’avais tenté
d’organiser le rapatriement de femmes et d’enfants malades de non soin du fait
de la guerre. J’ai aussi d’autres engagements sans lien avec mon travail et
cela je les gère avec mon épouse. J’ai toujours eu beaucoup d’énergie en dehors
du travail. Par exemple, j’ai créé avec mon épouse un club hippique et nous
avons aussi tenté d’organiser des activités autour du cheval pour des personnes
en situation de handicap. J’ai également été trésorier d’une association
toujours dans le monde du cheval et cela m’a entre autre permis de bien comprendre
comment fonctionnait une association avant de créer ici à Garches,
l’association des réanimateurs.
Cela impact ma vie affective :
Au niveau de mon
couple, j’ai la chance de beaucoup échanger avec mon épouse.
Avec mes
enfants, je n’ai pas été très facile et c’est certainement un
euphémisme…J’étais très irritable, et je m’emportais facilement, sans doute un
homme très irascible. Cela n’a pas été simple pour eux et j’avoue avoir sans
doute reproduit ce schéma acquis dans l’enfance, lorsque mon père et ma
grand-mère ne parlait que de médecine. Je suis quelqu’un de très anxieux, et il
est clair que je transmettais mon anxiété à la maison. Au début de ma carrière,
quand le téléphone sonnait je faisais un bond sur ma chaise tellement j’étais
hyper tendu. Dans un tel climat, tout le monde ne pouvait que pâtir de cette
nervosité. Parfois, j’étais si impatient que je ne les laissais même pas
s’exprimer, je leur coupais systématique la parole. A d’autres moments,
j’essayais de les écouter malgré tout.
A mes amis, je
n’ai jamais parlé de ma vie à l’hôpital.
Avec mes
voisins, mon entourage, je suis un peu égocentrique et relativement indifférent
à ce que les autres peuvent ressentir. J’ai longtemps joué du piano la nuit
sans me soucier du voisinage. Je me disais que les gens n’avaient qu’à
apprendre à dormir comme moi, dans n’importe quelle circonstance et quelques
soient les bruits environnent. J’étais réellement dans une sorte de suffisance
vis-à-vis de moi-même.
Mon rapport à l’invisible.
  Lorsque l’on occupe de telles responsabilités,
on a tendance à se prendre pour Dieu. On bascule dans une perte ou bien à
l’inverse dans une quête de sens.
  Pour moi la spiritualité est quelque chose de
compliqué. Dieu c’est les hommes et cela a renforcé mon idée que la vie
éternelle n’existe pas.
Je vois de plus
en plus que cela aide à se poser, à réfléchir. Je pense que Dieu est une
création purement humaine. C’est comme un sixième sens que certains n’ont pas.
Je dirais que de ne pas s’en servir serait coupable. Cela m’aide de penser
ainsi. En tous les cas, avoir un métier utile protège des questions
métaphysiques.



QUAND JE SUIS CONFRONTEE
A UNE SITUATION DIFFICILE…
Témoignage
d’une infirmière
Blandine
Mallet
        
Cela impact mon corps :
Je me sens alors comme vidée, privée
de toute vitalité. Mon corps se raidit. Il peut même m’arriver d’avoir du mal à
respirer profondément. Certaines fois, le lendemain, je me réveille en ayant
l’impression qu’un rouleau compresseur m’est passé dessus. J’ai un mal de tête
insupportable et je ressens parfois le besoin de pleurer.
Ce qui m’aide, c’est d’aller nager
et de sentir mon corps tout entier respirer (sang, énergie, oxygénation,
articulations, muscles, tension artérielle, entrainer mon coeur etc.) Deux
heures par semaine, je m’immerge dans une sorte de bulle qui me fait oublier ce
corps lourd et me porte au sens propre comme au sens figuré, la douleur de
l’autre et la mienne me semble alors moins lourde.
Lorsque mes jours de congé tombe sur
la semaine, j’ai  un grand besoin de flâner, de me laisser totalement
aller, même si ma vie ne me l’autorise que rarement avec la logistique de
ménages, de courses, d’enfants à aller chercher etc. Généralement, alors que ce
serait absolument nécessaire, je n’ai pas le temps de me poser physiquement.
Alors j’ai du mal à me détendre, à relâcher la pression au corps. Je reste
toujours sur le qui vive, je me tiens sans cesse en éveil, toujours prête à
bondir, hyper réactive pour être certaine d’être opérationnelle si il y a une
urgence ou si on a besoin que je sois là.
 Cela
impact mes capacités intellectuelles :
J’essai de remplir ma mémoire d’une
somme incalculable de petits détails que je désire transmettre aux familles,
aux enfants ou aux soignants. Je ne peux me permettre d’oublier car j’étais là
et c’est mon rôle de tout garder et de transmettre. Je me mets la pression,
j’en ai bien conscience mais je veux être porteuse de leur histoire de vie,
c’est un cadeau aussi empoisonné que précieux. Pour moi, ne pas se souvenir ce
serait presque les trahir. Je n’ai pas le droit d’oublier car ce serait comme
si ces situations difficiles n’avaient jamais existé. Par exemple, quand un
enfant décède alors que ses parents ne sont pas là, si on sent qu’ils en ont
besoin ou qu’ils sont demandeurs, il est important de pouvoir leur expliquer
les détails.
Dans les moments vraiment très
difficiles, malgré ma tendance prononcée pour l’anxiété et la panique, je suis
d’un calme olympien et je reste hyper concentrée car beaucoup de ce qui se
passe autour de moi repose sur moi. Je sais que si un maillon de la chaine de
l’équipe cède, c’est tout le monde qui risque d’en pâtir. Ainsi, l’autre jour,
un médecin avait très peur car il devait intuber en urgence vitale un bébé de
dix jours. A ce moment là, je suis restée très calme, tout était très claire
dans ma tête, avec sang froid je l’ai apaisé avec beaucoup de
bienveillance et de douceur. Je dirigeais tous les participants car si le
stress commençait à se propager ça aurait été catastrophique pour ce petit
bébé. A chaque fois, ce mécanisme de protection qui se met en place en moi me
permet de ne pas me laisser envahir par la peur et au final, c’est salvateur
pour tous.
Dans les situations difficiles, je
n’ai pas le temps de penser à mes propres limites, si je suis là, il faut
impérativement que je sois pleinement présente aux personnes soignantes et au
patient, et bien ancrée dans la situation, le lieu, le moment, sinon il faut
que je sorte et que je passe la main mais ce n’est pas toujours possible, et
parfois je n’y arrive pas.
Cela impact mon rapport au monde : 
Au risque de paraître nulle, je dois
avouer que je ne fais partie d’aucune association car je crois reconnaître
qu’émotionnellement ce serait trop pour moi en plus de mon travail, de mes
enfants, de ma situation privée compliquée etc. Mais ; je ne désespère
pas, au gré d’une rencontre, d’y mettre un pied un jour car on a tous quelque
chose à apporter et cela ne me déplairait absolument pas.
Je n’ai pas non plus d’engagement
politique. Je m’en désintéresse totalement : je crois beaucoup plus à la
proximité de terrain et aux actes posés même s’ils sont insignifiants ou non
palpables, car dans les cœurs et les esprits, ils restent et ont un poids
monumental pour l’enfant et sa famille.
Dans mon quartier, j’essaie de
veiller sur les personnes âgées qui habitent à proximité en allant les voir de
temps en temps, en leur apportant du concentré de bonne humeur, et d’autant
plus si leur état de santé se dégrade ou s’ils sont bloqués à cause des
intempéries… Je cherche à établir un peu de lien social mais c’est sur que
j’en fais beaucoup moins que d’autres et j’aimerais en faire davantage.
Cela impact mon rapport aux choses matérielles :
Les choses n’ont pas réellement
d’importance pour moi sauf si elles symbolisent ou rappellent quelqu’un qu’on
aime.
Je ne m’attarde pas sur le ménage,
j’en fait un minimum, dans un bordel organisé mais il m’arrive de péter un
plomb d’un seul coup et dans ces moments, tout doit être fait vite et
parfaitement. Dans l’urgence,  j’ai besoin de ranger pour ranger ma tête
mais à priori, cela n’a pas de lien direct avec une situation vécue récemment
au travail.
Cela impact ma vie affective :
Je ne parle pas de mon travail avec
mon compagnon. Je ne parle ni de la douleur des enfants, ni de ceux qui
meurent, ni de ce que je vis de difficile car il y a longtemps que la porte
s’est fermée par peur. Il refuse totalement tout partage et toute écoute sur le
sujet. Et c’est dur de parler à quelqu’un qui ne s’y intéresse pas et qui ne
comprend rien à l’essence de mon job. J’ai conscience d’être trop raide dans
mes propos mais ma situation privée la déforme indubitablement.
Je partage avec ceux qui sont
susceptibles d’entendre (les situations, la souffrance, ma douleur, mes doutes,
mes questionnements) … quant à comprendre… on vit tous les choses de façon
viscéralement différente donc on n’a pas à comprendre l’autre, car on ne le
pourra jamais, mais juste à accueillir.
Je parle de tout cela avec mes
collègues, mes amis de la profession aussi.
Je raconte un peu à mes enfants
parfois car ils voient que je suis affectée. Ils ont besoin un tant soit peu de
comprendre pourquoi leur maman a le spleen ou est un peu irritable ou a l’air
(et pas que l’air) épuisée avec quelques détails simples mais rien de plus car
ils ont besoin de mettre des images.
Les amis d’ailleurs …. me
questionnent davantage par curiosité mais je reste très évasive car à quoi cela
servirait de me rappeler des souvenirs qui reviendraient à mon esprit et me
hanteraient des jours durant seulement parce qu’une personne m’a demandé d’en
parler. Ils sont là ces souvenirs et remontent à la surface quand il le faut,
rien de plus.
Les premières années de ma profession je ruminais
beaucoup ce que je vivais dans  mon métier…
J’étais jeune, anxieuse et c’était difficile. Puis j’ai grandi et pour autant,
au tout début de mon exercice je ne laissais rien paraître de l’hypersensible
que j’étais. Je me le cachais même à moi-même. Je me souviens de cet ado en
quasi mort cérébrale et de sa maman. C’était mon premier poste en réa neuro
chir… Il a passé trois semaines entre la vie (physique seulement ?) et la
mort. Moi, j’ai passé trois semaines à parler à ce très beau jeune homme qui ne
réagissait plus à rien et à cette maman qui me racontait son histoire à lui, à
elle, la vie d’avant et celle de maintenant… je me blindais je crois…
j’écoutais certes, je la prenais dans mes bras, elle avait l’air d’y trouver un
réel réconfort mais je sais que je ne m’exposais pas du tout émotionnellement.
J’étais comme anesthésiée. Je n’étais pas mère d’une part et je ne voulais
probablement surtout pas souffrir en absorbant toute cette douleur. Cette
douleur indicible d’une mère qui a déjà commencé à faire le deuil de son fils.
Ce jeune homme est parti se faire prélever ses organes et sa maman m’a tendu
les bras au bout du couloir. Elle a pleuré dans mes bras toutes les larmes de
son corps (celles qu’elle avait encore). Elle m’a remerciée pour ma présence
indéfectible, ma présence et…juste ma présence. 
A ce moment j’ai compris. A ce
moment précis, je me suis dit « non Blandine, ne flanche pas, reste
droite, l’épaule solide de cette maman, qui pleure et te livre tout son
désarroi depuis trois semaines et là tout de suite en concentré. Je crois donc
que j’étais ENFIN, OSERAIS JE DIRE, consciente que je considérais sa peine
depuis trois semaines et que je n’étais pas inhumaine. Néanmoins, à ce moment
précis, la situation était si intense que je pouvais craquer et je sentais
que cela commençait à me faire sortir de ma maîtrise émotionnelle. Je sais bien
aujourd’hui que maitriser n’est pas le bon comportement il faut plutôt
accueillir l’émotion, être à son écoute pour éviter son expression qui peut
être extrêmement violente et délétère pour l’entourage perso ou pro.
J’ai compris qu’il est bon de
laisser exprimer ses émotions ailleurs, seule face soi-même : crier dans
sa voiture ou en forêt, taper dans un sac, frapper, se défouler, cracher tout
ce qui coince, bloque et a un besoin impératif de sortir. Il s’agit quasiment
dans certains cas, d’un véritable besoin vital. Faire des exercices de
respiration ou de la méditation peut être salutaire. Si l’on néglige cet aspect
on risque de ne plus se comporter de façon politiquement correct avec qui que
ce soit.
La situation que j’ai vécue avec ce
jeune homme mérite d’être racontée plus avant.
Quand la maman est partie, la cadre
est venue me voir et m’a témoigné son empathie et sa disponibilité si j’avais
besoin. Cette première situation que j’avais du affronter professionnellement
alors que je débutais avait été si intense qu’il avait semblé bon à cette cadre
de m’entourer avec attention à la fin de la prise en charge. La seule chose que
j’avais trouvé à dire fut :  » non non ça va très bien merci « .
Aujourd’hui, avec le recul, cela me choque que j’ai pu réagir ainsi. Maintenant,
il est clair pour moi que ces propos étaient révélateurs de l’incroyable
souffrance que je ressentais alors. Il me semblait primordiale de ne pas
baisser la garde, de ne surtout pas avouer ma faiblesse (qui pourtant n’en est
pas une). Je ne devais pas avouer ma souffrance ni le feu intérieur qui devait
me consumer sans que je le ressente
consciemment. Peut-être me prenais-je
pour la super infirmière qui « gère » quoi qu’il advienne !!!????
Quelle horreur !…
Aujourd’hui, j’ai appris à
accueillir à bras ouverts mon hypersensibilité, même si ce n’est pas toujours
facile. Cela est une véritable richesse et il me tient à cœur de l’expliquer
aux futurs professionnels hypersensibles (car on se ressent :)). Ils sont
parfois déjà en retenu et en souffrance alors qu’ils ressentent tellement plus
les choses que certains autres. Leur analyse est souvent plus fine et cette
sorte de sixième sens est un avantage
indéniable pour
être là, présent comme il faut vis-à-vis des équipes soignantes, du patient et
de sa famille.
On me dit souvent qu’on admire ma
profession, mon courage etc. mais quand on se retrouve dans ce genre de
situation il me semble que n’importe qui ferait la même chose. On répond juste
présent parce qu’on est humain. On met tout ce que l’on a en nous, tout ce que
l’on est et tout ce qui émane de nous dans la balance parce que c’est
nécessaire point. On donne tout. On s’expose parce que l’on accompagne dans la
douleur l’inacceptable et souvent, ce que l’on n’avait pas prévu. C’est un peu
comme si le chemin tracé n’était pas TOUJOURS emprunt d’obstacles, de petits
chemins cachés sur les côtés et d’impraticabilité.
  Mon rapport à l’invisible.
Je ne crois pas en Dieu. Ni en un
Dieu, ni en plusieurs d’ailleurs. En réalité, je crois à l’énergie universelle
tellurique (qui vient de la terre mère), une énergie cosmique (ciel et espace)
et aussi vitale (dans tout corps vivant). Je crois que ces différents flux
dansent ensemble, communiquent et animent tout.
Je crois en la réincarnation. Suite
à certaines expériences personnelles et aussi parce qu’il m’est inacceptable
d’imaginer qu’un être vivant naisse et meure tôt dans sa vie. Il en est de même
avec les grandes souffrances, ou les gens qui vivent dans la douleur physique
ou psychique. Ma conviction est qu’il y aura plusieurs vies pour que la balance
soit un tantinet rétablie concernant l’équilibre bonheur/douleur de chacun.
Evidemment je ne mets jamais en
avant mes croyances auprès des familles en souffrance, à moins que des discussions
longues et libres s’instaurent, pendant de longs mois. Tout est histoire de
ressenti face aux familles. C’est un sujet extrêmement délicat et, évidemment
encore plus en période de vulnérabilité parentale et de l’enfant.
Je crois aux anges et aux esprits.
En particulier, je crois que les personnes qui partent restent malgré tout
auprès de nous souvent, nous protègent et veillent sur nous. Je les sens
parfois et j’ai eu des manifestations probables dans mon service du monde
invisible. Comment expliquer des objets qui tombent sans raison, des scopes ou
des pousses seringues qui s’allument tous seuls ?… Il m’est arrivé
jusqu’à ressentir des sensations de froid soudaines ou de réelles impressions
de présence invisible à mes côtés
QUAND JE SUIS CONFRONTEE A UNE SITUATION
DIFFICILE…
Témoignage d’un pédiatre réanimateur
Docteur Guillaume Costa
Les situations difficiles
impactent-elle mes capacités intellectuelles ?
Pendant la situation, mon intellect est
préservé. Il se produit comme une sorte de clivage : la médecine et les
soins en priorité, tout est clair. Il faut que ça avance. Avant les situations
il peut m’arriver de ressentir de l’appréhension, je me demande comment cela
va-t-il se passer. Grace des des décharges importantes d’adrénaline, tout
fonctionne mieux. La stimulation est beaucoup plus importante. C’est normal, là
ou il y a une situation de stress, il y a de la stimulation. Je me souviens que
c’était la même chose aux moments de mes examens en médecine. Je me souviens
que je pouvais résoudre des problèmes très difficiles lorsque j’étais en
épreuves, alors que je n’y arrivais pas forcément en dehors des examens.
Dans l’après coup en revanche je me
pose des questions : est-ce que j’ai bien fait, qu’est ce qui était bien,
pas bien, qu’aurais-je pu améliorer. Alors oui dans l’après coup, je ressasse.
Au niveau de ma mémoire et de ma
concentration, quand il y a une situation difficile c’est la fatigue qui est le
plus complexe à gérer. A cause de la fatigue, je peux ressentir un
ralentissement intellectuel, et c’est bien davantage à cause de la fatigue qu’à
cause de l’événement lui-même. En revanche je ne ressens pas spécialement de
problème de mémoire ni de concentration.
Les situations complexes,
modifient-elle mon rapport aux choses matérielles ?
Je ne constate pas de modification sur
ce point. D’ailleurs j’accorde peu d’importance pour le matériel en général. Il
peut m’arriver de ne pas faire attention, mais c’est plutôt habituel, c’est lié
à ma personnalité.
Mon
rapport à la société :
Pour moi, le monde n’est ni tout noir,
ni tout blanc. Il est tel qui est. Bien sûr, cela me permet de relativiser sur
mes problèmes personnels ou dans mon entourage. Je crois aussi qu’il y a pleins
de variables qu’on ne contrôle pas, on ne peut pas tout prévoir. Il y a des
choses sur lesquelles nous n’avons aucun moyen d’action, aucun impact possible.
Il y a des choses que l’on ne peut pas changer.
Je pense que l’on vit des choses
uniques, mais ce n’est pas forcément en décalage. On vit des choses que peu de
personnes vivent, on aborde la mort plus fréquemment mais tout le monde a les
mêmes problématiques.
Je n’aime pas trop parler de mon
travail à mes amis. Certains comprennent, d’autres moins, mais nous restons
toujours sur des problématiques universelles, en ça nous ne sommes pas vraiment
différents les uns des autres.
Envie de s’investir ?
Engagement associatif ? Investissement de qualité ?
Je pense qu’il faut trouver un
équilibre. On peut vite être absorbé par l’hôpital. Le temps y passe très vite,
c’est chronophage. Je suis président d’une association, j’ai des amis qui sont
psy et font de l’haptonomie, ils travaillent beaucoup dans l’enfance. Je
participe à des discussions, cela me prend 2h par semaines environ.
La politique m’intéresse mais je ne m’y
impliquerai pas, néanmoins, j’ai mes convictions.
Toutes les personnes qui sont ici aime
leur travail, c’est un choix. C’est agréable mais on peut vite s’enfermer, cela
peut être dangereux aussi, il faut être vigilent.
Impact émotionnel :
La tristesse et l’angoisse et beaucoup
d’autres émotions sont en jeu dans ce genre de métier. Il faut trouver le juste
milieu, la bonne distance avec ces choses-là. Il faut être touché un peu je
pense mais ne pas être envahit. C’est un travail de tous les jours. Tous les
jours j’ai l’impression que j’apprends, c’est une frontière.
Impact affectif :
Les deux sont liés, je pense que ça a
un impact. Par exemple, lorsque ça ne se passe pas bien à l’hôpital, j’essaie
de laisser ici mais forcément des choses me collent. Les deux ont une
influence. Cela peut m’arriver que je repense à ce qui s’est passé dans les
moments difficiles alors que je ne suis plus dans le contexte hospitalier.
Après j’ai la chance d’avoir des personnes qui me connaissent et me rappellent
à moi-même. Mes proches prennent soin de moi et puis il y a une sorte de
contrôle aussi. Au final, beaucoup de personnes font attention à nous mais on
ne remarque pas.
Corps :
répercussion :
Je fais beaucoup de sportn de vélo et
je cours de temps en temps.
Mes ressources, c’est à l’extérieur que
je les trouve, avec mes amis, et surtout avec la nature. J’ai besoin d’être
dehors. Le vélo me permet de passer à autre chose.
Au niveau de mon sommeil, de
l’attention à mon corps, de mon alimentation et de ma sexualité, tout ceci doit
surement être impacté, mais je ne sais pas vraiment comment. Je ne sais pas si
cela modifie l’intensité ou la fréquence… Je n’ai pas de sensation
particulière.
Dans ma famille je ne raconte
qu’une version édulcorée de ce que je vis. Ils n’ont pas besoin de tout savoir.
C’est d’ailleurs plus facile de parler avec les amis du boulot qu’avec les
familles.
Rapport à l’invisible :
Je n’ai pas de religion particulière.
Je suis croyant, je crois en certaines choses, je crois en l’esprit, je crois
qu’il y a des choses qu’on ne maitrise pas et qu’il y a peut-être un sens
derrière. Je parle plus de sens de la vie. Cela a un impact : il y a des
choses qui doivent se faire, d’autres qui ne se font pas. Il faut savoir
arrêter et ne pas se prendre pour Dieu. On nous apprend à être dans le
contrôle, à tout maitriser, on est sollicité pour tout (même pour la machine à
laver qui ne fonctionne plus !). Nous sommes formatés pour avoir réponse à
tout. Comme si on pouvait tout régler…
Cela n’est ni aidant ni contraignant,
ce n’est pas un jugement. Je pense cela davantage comme des chemins, avec des
croisements. C’est comme ça.
On a besoin de ces choses-là.
C’est toujours touchant d’entendre un
enfant parler de son expérience de mort imminentecar c’est pas stéréotypé comme
on peut entendre à la télévision. Je pense à un enfant qui voyait les personnes
qui l’aimaient et lui disaient de venir.


cf. Le concept d’individu sain de Winnicott